Quel Baud chantier musical !

Quand les collecteurs sonores d’Ars Nomadis embarquent des ouvriers du BTP, des habitants, des enfants de deux écoles primaires (Pablo Picasso et Marcel Pagnol) et des musiciens de deux équipements culturels (l’Orchestre National de Bretagne et le Conservatoire) sur le chantier du quartier Baud-Chardonnet, l’aventure collective est forcément inoubliable. À la clé, une symphonie du nouveau monde baptisée « Building », très urbaine et pour le moins humaine.

En attendant le point d’orgue musical programmé en septembre, nous sommes rentrés sur la pointe des pieds dans une classe de C.P de l’école Marcel Pagnol, engagée dans le projet au titre du Programme d’Éducation Artistique et Culturelle (E.A.C).

 

Disséminés aux quatre coins de la pièce, des tuyaux en PVC, des morceaux de rubalise, des gaines électriques, des boîtes en métal et des couvercles en plastique nous suggèrent d’abord que nous nous sommes trompés d’endroit.

La répétition aura pourtant bien lieu ici, et tous ces matériaux de récupération glanés sur le chantier de Baud-Chardonnet, formeront à terme le grand orchestre de percussions des petits élèves.

C’est qui la cheffe ?

 

Baptisée « Quel chantier !», la partition écrite par le compositeur d’Ars Nomadis Alexandre Rubin ne manque quant à elle pas de punch.

Menée par la musicienne intervenante du Conservatoire Isabelle Delauche, la séance commence par un « petit moment musical ». Les enfants tapent en rythme dans leurs mains, sur leurs cuisses et avec leurs pieds. Une mélodie prend forme.

« Vous la reconnaissez ? », interroge l’animatrice. « C’est la sonnerie de l’école ! » répond une élève. « Trop bien, la mélodie ! », s’exclame un autre. « On a fait une musique… endiablée », résume un troisième en cherchant soigneusement ses mots.

Pendant trois quarts d’heure, les quincaillers musiciens vont apprendre à lire une partition.

« Les quatre points noirs, ce sont des notes, explique Alexandre Rubin, donc il faut frapper quatre fois. Et si celles-ci sont situées dans le haut de la partition, cela signifie que les sons sont… » « Aigus ! », répondent les petites filles et garçons modèles à l’unisson.

« Il faut suivre la cheffe d’orchestre, vous savez qui c’est ? » « C’est moi », lance un enfant pour le moins ambitieux. « Non, c’est Isabelle », rectifie le compositeur.
 

Les élèves de Pablo Picasso à la création sonore

 

Présent pour l’occasion, le percussionniste de l’Orchestre de Bretagne Huggo Le Henan peut vérifier que tout le monde a bien retenu la leçon de sons, et sa présentation des différentes familles de percussions, à l’occasion d’une précédente rencontre.

Engagées dans l’aventure « Quel chantier ! », les trois classes de C.P de l’école Marcel Pagnol s’occuperont respectivement des lignes « métal », « plastique » et « bois » de la partition.
 

La séance touche à sa fin, les apprentis musiciens s’en donnent à chœur joie. Les sons ronds s’échappant des tuyaux en PVC nous font songer à ceux d’un tabla ; les rubans de rubalise fendent l’air avec légèreté ; tout cela semble très bien orchestré.
 

À quelques kilomètres de là, les enfants de Pablo Picasso (de CE1 à CM2) se chargent quant à eux d’imaginer des créations sonores en M.A.O (Musique assistée par ordinateur) à partir des sons glanés dans la nature urbaine de Baud-Chardonnet.
 

Le 16 juin, dans la cour de l’école Myriam Makkeba fraichement inaugurée, tout ce beau petit monde restituera devant un public forcément enchanté, les fruits de « Quel chantier ! ».
 

Au programme également : un duo « Opus » entre le percussionniste Huggo Le Henan et Moussa Keïta, un ouvrier rencontré sur un chantier voisin de l’école Marcel Pagnol ; une séance d’écoute des créations sonores de l’école Pablo Picasso ; un récital par des musiciens de l’Orchestre National de Bretagne.
 

« ‘Quel chantier !’ est en quelque sorte le volet éducatif du projet plus vaste intitulé ‘Building’, rappelle Antoine Beaufort pour Ars Nomadis. L’idée de ce dernier est d’écrire une symphonie électro-acoustique à partir des sons glanés par des brigades sonores sur le chantier de Baud-Chardonnet. » Une mission confiée au compositeur italien Fabrizio Rat, en attendant la présentation au public programmée le 1^er septembre (lieu à définir).
 

« Nos œuvres sont créés in situ, à partir de la matière sonore, des témoignages, ou des histoires collectées sur le territoire. »

 

Qu’on se le dise une fois pour toutes : le collectif de création sonore préfère les territoires à déficher aux terrains conquis. Avec ces récolteurs de son, le bruit peut aussi bien sourdre d’un chantier que jaillir d’une partition ; la clé peut-être de sol ou bien anglaise ; l’ouvrier peut jouer de son outil tandis que le musicien utilise son instrument.

Avant le projet « Building » lancé en 2019, Ars Nomadis s’est notamment distingué avec « Les chants du Blosne », création in situ restituée sous la forme d’un parcours sonore permanent dans le quartier rennais. Soient vingt portraits d’habitants mis en musique par deux compositeurs et des musiciens du conservatoire.
 

Mais revenons au présent et aux enfants de Marcel Pagnol. La séance s’achève, ces derniers semblent nager dans le bonheur, la parenthèse en chantier peut se refermer. Provisoirement !

Jean-Baptiste Gandon