Les mille et une vies de l'Hôtel d'artillerie
Cela vous dit de parler d’architecture dans un lieu chargé d’histoire et rarement ouvert au public ? Avant la transformation du bâtiment, l'architecte Philippe Prost et le festival Georges vous attendent de pied ferme à l’Hôtel d’artillerie pour évoquer cet art millénaire de l’architecture qui est de composer avec l’existant.
On vous présente comme le penseur de la transformation de l’existant. Pouvez-vous préciser cette notion ?
Dans le cadre de la table ronde « Construire le patrimoine », je parlerai de cette nouvelle voie de l’architecture qui est de démolir le moins possible, et de transformer le mieux possible. En réalité, il s’agit plus d’un retour aux sources, car c’est l’art millénaire de l’architecture de faire évoluer les bâtiments, de les transformer. Pour la basilique de Vicence, par exemple, l’architecte de la Renaissance Andrea Palladio a conservé le bâtiment médiéval auquel il a ajouté cette façade moderne du 16e siècle, mondialement connue. L’histoire des bâtiments est trop souvent racontée comme si ces derniers étaient créés ex nihilo, ce qui est rarement le cas. Il n’y a jamais de page blanche, il y a toujours un déjà là. L’architecture est un jeu de poupées russes.
Il n’y a jamais de page blanche, il y a toujours un déjà là. L'architecture est un jeu de poupées russes
Le vingtième siècle est un peu une exception à la règle...
On a toujours composé avec l’existant depuis l’Antiquité, pour des raisons d’argent ou de temps. Avec la Révolution Industrielle, l’humanité n’a plus connu de limites, et a oublié que les ressources n’étaient pas inépuisables. Les deux guerres mondiales ont accentué le phénomène de table rase. Or, les gens peuvent être attachés à des lieux dans lesquels ils ont vécu, et ce même si les bâtiments voués à la destruction sont laids… De même, si le béton a mauvaise presse, il peu être très utile. La question est moins de le supprimer que se demander comment utiliser moins d’eau dans sa fabrication.
Vous êtes spécialiste de Vauban, pas forcément connu pour être un grand recycleur.
Et pourtant, il est quelque part l’inventeur des circuits courts ! Pour la citadelle de Belle-Île-en-Mer, par exemple, il a imaginé deux projets : un premier ambitieux, et un second plus pragmatique prenant en compte les problèmes de budget de l’état et la nécessité de faire vite. Nous découvrons ici l’architecte dans sa recherche d’économies de moyens et de matériaux convenables. Vauban a utilisé le schiste de l’île pour le tout venant et importé du granit de Bretagne pour les structures importantes.
Quelque part, Vauban a inventé les circuits courts
Vous portez le projet de transformation de l’Hôtel d’artillerie, dans lequel vous allez également donner une conférence dans le cadre du festival Georges.
Ce bâtiment illustre particulièrement les propos qui précèdent. Depuis l’époque médiévale, il a plusieurs fois changé de destination, et a connu de nombreuses transformations. D’autres sont à venir. Outre l’accueil de bureaux à usage professionnel, il sera par ailleurs ouvert sur la ville, sur la cathédrale et les portes mordelaises voisines. Il faut que les Rennais puissent admirer le point de vue depuis sa magnifique terrasse en surplomb. Futur lieu mixte à la fois public et privé, l’Hôtel d’artillerie possède un intérêt patrimonial évident. Mon projet est de restaurer la façade à l’identique, de conserver le plus possible les structures de maçonnerie, de charpente ou de plancher. On appelle cela une approche conservative. Le bâtiment a déjà accueilli une école épiscopale, un lieu de fabrication de monnaie et le premier Hôtel de ville de Rennes. Le public présent à la table ronde aura l’occasion de le découvrir dans un état de transition, avant sa nouvelle vie.
Il n’y a pas ici d’effet «waouh » mais un sentiment de bien être.
Comment le trouvez-vous ?
Très beau ! Il n’y a pas ici d’effet «waouh » mais un sentiment de bien être. Le bâtiment est parfaitement distribué à la française, les pièces sont bien proportionnées. J’apprécie la qualité des espaces intérieurs, très lumineux ; la générosité en terme d’espaces, sans oublier la belle hauteur sous plafond… Toutes les strates de l’histoire sont ici visibles, c’est tout simplement passionnant.
Table ronde « Construire le patrimoine », sam. 21 septembre, de 10h à 12h, Hôtel d’artillerie, dans le cadre du festival Georges. georges-festival.com
Jean-Baptiste Gandon