Gérard Zlotykamien, un pionnier des arts urbains au musée des beaux-arts
Plus habitué à agir en plein air, sur les palissades de chantier, Gérard Zlotykamien se retrouve cette fois entre quatre murs, au Musée des beaux-arts. Une grande évasion dans l’histoire des arts urbains, au fil d’une carrière longue de plus de 60 ans. « Tout va disparaître », alors dépêchez-vous !
Gérard Zlotykamien habite les murs des villes de ses figures idiomatiques, depuis plus de 60 ans maintenant. Ses « éphémères » - ainsi nomme-t-il ses visages rudimentaires aux contours flous - ont donc mené leur petit bonhomme de chemin, de Berlin à Johannesbourg en passant par Paris. Depuis la fin des années 1950, ils sont les témoins des soubresauts du monde, quand ils ne disparaissent pas, nettoyés au karcher.
Aujourd’hui âgé de 83 ans, le pionnier des arts urbains fait son entrée au Musée des beaux-arts avec l’exposition « Tout va disparaître », proposée en partenariat avec le festival Teenage Kicks. Plus qu’une prophétie, l’intitulé nous rappelle d’abord que l’existence est un jeu perpétuel entre la vie et la mort.
Des galeries à la rue
Quand il naît à Paris en avril 1940, le jeune enfant juif est tout de suite confronté à cette réalité. Dans le patio du musée, des sacs de toile portent en eux le terrible fardeau de l’horreur : " déportée à Bergen Belsen, la mère de Zloty racontera plus tard à son fils s’être assise sur des sacs qui s’avèreront être remplis de cadavres ", raconte le commissaire de l'exposition, Jean Faucheur. Les petits bonhommes de Gérard Zlotykamien ne sont donc pas rigolos, mais portent en eux un esprit de révolte permanent, contre « la censure, la torture et la mort. »
Commencée à 18 ans dans une galerie, sa carrière va très vite se poursuivre dans la rue. Comparé à Monet, le jeune peintre influencé de son propre aveu par Yves Klein, affiche sa défiance pour le monde de l’art à partir de 1963.
« J’ai commencé à tout refuser en bloc, et à me dire que mon espace à moi, c’était la rue », dira-t-il plus tard. La rue et ses palissades de chantier, ses murs décrépis, ainsi que tous ces supports sans noblesse. Pas plus qu’à amuser la galerie, Zloty ne cherche donc pas à faire le beau.
Un parcours en 5 étapes
Aux quatre coins du monde, ses « éphémères » ont laissé leur trace, au prix il est vrai de nombreuses gardes à vue. À Ulm au cours d’un procès, il dira : « J’effacerai mes œuvres quand ils me rendront les miens ». Et à Paris : « La liberté de l’esprit ne se pose pas sur un plan juridique. »
Le musée des beaux-arts invite donc à découvrir l’œuvre de ce vandale de 83 ans. L’occasion de prendre la mesure de sa radicalité et de sa constance. Dans le patio, espace à mi-chemin entre la rue et le musée, Zloty a peuplé les murs de quelques centaines d’éphémères. « Je me suis arrêté de compter à 300 », s’amuse-t-il.
De la rue aux cimaises, un deuxième espace s’attarde sur les matériaux récupérés dans la rue, dont cette porte d’un mirador du mur de Berlin, récupérée en 1990. Inséparable témoin de cet art éphémère, la photographie occupe également une place importante dans l’exposition, et invite le visiteur à régler ses pas sur ceux de l’artiste, de la fin des années 1950 à nos jours.
Des pots de cendres contenant les restes de toiles brûlées par l’artiste ; des figures humaines inexpressives prisonnières de la toile… Des portes du musée à ce matelas posé contre un mur, l’artiste occupe tout l’espace. On pense parfois à Pollock, ou à Chagall, mais Zloty reste unique et inclassable : quand les street artistes œuvrent dans la rue en rêvant d’exposer dans une galerie, lui a fait le chemin inverse. Et quand les graffeurs utilisent la bombe pour faire exploser les motifs, lui cultive le flou artistique et la légèreté du trait.
Si il est minimaliste et rudimentaire, l’art de Zloty, c'est sûr, vaut bien plus qu’un kopeck.
Jean-Baptiste Gandon.
Tout savoir sur l'expo
"Tout va disparaitre", Gérard Zlotykamien,
Une exposition proposée en partenariat avec le festival Teenage Kicks
À découvrir jusqu'au 7 janvier 2024, au Musée des beaux-arts.