Contrat de ville : les habitants demandent à prendre l’espace
Les partenaires du Contrat de ville (2015-2022) ont osé une évaluation révolutionnaire de leur stratégie, partie des habitants. Résultat : la question du partage de l’espace public émerge.
Réunis au Triangle, jeudi 21 octobre, les services de l’Etat, de la Ville de Rennes et Rennes Métropole -les partenaires du Contrat de Ville pour les quartiers prioritaires- étaient unanimes : l’espace public reste « l’angle mort » de la politique de la ville. Il sera nécessaire que le prochain Contrat de ville en fasse l’une de ses thématiques clé.
Une demande venue des habitants
Retour sur la démarche. En 2018, le Contrat de ville souhaite faire le point sur ses actions. Un questionnaire est élaboré, avec les enfants de ces quartiers, les associations d'habitants, puis avec les partenaires.
1 200 habitants y répondent. Et les réponses des femmes sont assez critiques. Rennes décide donc de déclencher une évaluation complète de stratégie.
Que pensent les habitants de leur quartier ?
Le cadre urbain, les transports collectifs, les équipements publics, la qualité des aménagements et la richesse de la vie associative favorisent l’attractivité de ces quartiers prioritaires.
En revanche, les incivilités liées à la propreté, la crainte de sortir de chez soi fragilisent le vivre ensemble. Si chacun se sent bien dans l’espace public le matin ou en journée, c'est moins facile en soirée. Des habitants signalent certains secteurs « confisqués », qui génèrent de la peur et de l’évitement, en particulier chez les femmes ou les personnes âgées.
Autre enseignement, les relations régulières nouées au quotidien avec les décideurs et les agents publics donnent satisfaction, même confiance. Mais les institutions sont aussi invitées à accompagner davantage les habitants qui s’impliquent pour améliorer l’usage des espaces publics.
Des expérimentations dès maintenant
Dès à présent, des expérimentations sont lancées dans les cinq quartiers prioritaires rennais - Maurepas, Le Blosne, Cleunay, Villejean et Les Clôteaux - Champs Manceaux- autour de la place des enfants, des femmes, des jeunes dans ces lieux, communs à tous, en principe.
- Comment les enfants peuvent occuper l'espace ? Exemple du projet Les Malles créatives, porté par l'association Par Tout Artiste, à destination des enfants et fratries restés dans les squares pendant l'été.
- Les femmes et les jeunes filles dans la place. Exemple des actions d'Anime et Tisse sur le quartier de Maurepas qui ont pour but d'amener les femmes et les jeunes filles à s'exprimer, le plus souvent via l'outil artistique.
- Investir la rue pour écouter les habitants : comment le centre social de Cleunay recueille la parole des habitants sur leur lieu de vie.
- L'accès au droit sur l'espace public, c'est possible ! L'exemple de l'association "Si on s'alliait" sur la dalle Kennedy et ses alentours pour lutter directement contre le non-recours aux droits des habitants.es de Villejean.
- Mobiliser les habitantes et les habitants et favoriser les mobilités. Comment l’association CAP invite chacun à prendre part au projet de La Basse-Cour, grâce aux pratiques artistiques, artisanales et culinaires.
« Notre processus d’évaluation du contrat de ville est inédit. D’abord parce qu’il est participatif. Ensuite parce qu’il s’est fait en plusieurs étapes, à partir d’indicateurs objectifs puis d’une enquête de perception des habitants et maintenant, d’expérimentations sur le partage de l’espace public ».
Marc Hervé, premier adjoint de la Ville de Rennes, délégué à l’Urbanisme et l’évaluation des politiques publiques.
« L’enquête de perception des habitants a montré des réponses très différentes entre les femmes et les hommes dans leur approche de l’espace public.
Ce sujet de l’espace public partagé est d’autant plus important qu’il croise d’autres enjeux : la mixité sociale, la tranquillité publique, la lutte contre les discriminations et le droit à l’environnement ».
Priscilla Zamord, vice-présidente de Rennes Métropole, déléguée aux Solidarités, à l’Egalité et à la Politique de la ville.
« Quand une association nous sollicite pour une demande de subvention, on regarde toujours ce qui est prévu sur l’espace public. Parce qu’on touche plus de monde dans la rue qu’en salle. C’est dans la rue qu’on s’arrête, qu’on discute avec son voisin... Organiser quelque chose dehors, c’est aussi une bonne façon de chasser les indésirables, les dealers ».
Serge Loquen, Habitant de Villejean, Membre du Conseil citoyen rennais
« Le Blosne se transforme. Il accueille de nouveaux habitants, des familles avec de jeunes enfants et des ménages plus aisés grâce à l’accession aidée. Comment fait-on vivre ensemble les nouveaux venus avec une population plus âgée, des personnes seules ou de culture étrangère ? L’espace public est le lieu où doit se travailler la mixité sociale et intergénérationnelle.
Avec la rénovation urbaine, de nouveaux équipements publics ont ouvert : le Quadri, le Conservatoire… C’est une chance, à condition que ces équipements se projettent aussi vers l’extérieur, partagent leurs ressources hors les murs. Pour créer une relation de confiance dès le début ».
Agnès Da Silva, chargée de mission politique de la ville au Blosne, Ville de Rennes.
Tous les vendredis à Maurepas, nous animons des ateliers de pratique artistique pour questionner la place des femmes dans l’espace public.
De manière régulière, nous réalisons un journal d’expressions. Ce journal, c’est notre cocon en atelier. Mais cet été, nous avons peint une fresque dans l’agora du Clair détour. Nous y avons installé une cabine d’essayage de vêtements avec des tissus sérigraphiés. Nous avons aussi monté des spectacles sur le sexisme ordinaire, le harcèlement de rue.
En étant dans la rue, on rencontre d’autres femmes. On met en débat le sujet là où il est.
Solène Bouyaux, animatrice de l'association Anime et Tisse
« Depuis 2018, nous mobilisons sept animateurs en présence de rue pour aller vers les jeunes sur l’espace public. Quand ils traînent, un peu perdus dans leurs projets, on commence par les orienter. On essaie de faire naître des envies. On les remobilise sur des chantiers, des séjours, des animations… On essaie toujours de les amener à faire quelque chose hors du quartier pour découvrir comment on vit ailleurs.
Aujourd’hui, ce sont eux qui nous abordent. Pour nous parler de stage, de boulot, de surendettement, de deal parfois. La relation éducative est différente car pour nous parler, il n’y a pas de porte à pousser ».
Sabrina Sarrazin, directrice adjointe de Breizh insertion sport.
Une démarche innovante récompensée
Cette démarche innovante menée par Rennes Métropole pour évaluer le Contrat de Ville est récompensée par les professionnels. La Métropole est en effet lauréate du Prix de l’Innovation (catégorie Evaluation des politiques publiques) de l’AFIGESE (Réseau des financiers, gestionnaires, évaluateurs, manageurs des collectivités territoriales), en partenariat avec la Gazette des communes et la Société Française de l’Evaluation.
Plus d’info sur le site de l’AFIGESE