Comment aider les arbres à s'adapter au changement climatique en ville ?

Environnement
Groupe de personnes assis sur une pelouse entourés d'arbres.

Quels sont les effets du changement climatique sur les arbres ? Que nous dit leur état de santé sur les relations que nous entretenons avec eux ? Et comment leur faciliter la vie ? Nous avons posé ces questions à un chercheur, Jean Nabucet, et à Marc Schwager, agent de la Ville de Rennes.

portrait dessiné de Jean Nabucet

Jean Nabucet est chercheur en géographie pour le CNRS à l'université Rennes 2. Au sein du laboratoire Littoral-Environnement-Télédétection-Géomatique (LETG), il étudie les espèces végétales en ville à partir d'images issues de drones, d'avions, de satellites et de smartphones. De ses recherches est née une coopération avec les services de Rennes Métropole.

Quels sont les liens entre vos travaux et les services de la ville ?

La ville est un environnement d'une grande complexité. On doit travailler de manière concertée, en bonne intelligence. En 2010, j'ai commencé des suivis environnementaux via des capteurs 2D et 3D sur l'ilot de fraicheur des prairies Saint Martin. Ensuite sur la végétation, d'abord à l'échelle de la ville puis à celle de la Métropole. La Direction des Jardins et de la Biodiversité (DJB) était intéressée, ce qui a amené au financement de deux thèses : une sur le suivi sanitaire de l'arbre en ville et une sur l'estimation des stocks de carbone à 30-40 ans.

Que vous apprennent ces observations sur l'état de santé des arbres en ville ?

Sur la période 2015-2025, nous sommes capables de dire quels arbres sont fragilisés et lesquels sont résilients par rapport aux perturbations. Il y a assez peu d'espèces d'arbres qui ne présentent pas de fragilités en ville, avec l'intensification des ilots de chaleur, l'imperméabilisation (qui existe depuis que la ville est ville), la baisse de disponibilité en eau et en matières nutritives dans le sol. S'ils ont des difficultés à se développer c'est parce qu'ils ont subi des perturbations sur un équilibre déjà très fragile. La ville est un environnement extrêmement contraint : jusqu'ici la priorité, c'était souvent les eaux usées, les réseaux d'électricité et d'information. Une fois que ça, c'était fait, on pouvait concevoir le végétal. 

Comment les arbres réagissent-ils au changement climatique ?

On observe une tendance uniforme au réchauffement depuis 20 ans mais on assiste récemment à plus d'instabilité. Cela crée une fragilité plus grande. Passer d'un extrême de chaleur en 2022 à une année fraiche en 2023 puis à une année très humide en 2024… les arbres ne savent plus sur quel pied danser ! Notre environnement nécessite qu'ils s'adaptent : la ressource qu'ils dédiaient avant à leur développement, ils la réallouent à leur survie.

Il y a assez peu d'espèces d'arbres qui ne présentent pas de fragilités en ville.

Que peut-on faire pour leur faciliter la vie ?

La ville de Rennes a fait un gros travail dans le cadre de la Charte de l'Arbre. La grille d'implantation des arbres a été choisie en s'inspirant de villes plus au sud et en favorisant l'adaptation des espèces locales. Et aujourd'hui il y a une meilleure prise en compte de l'arbre dans les aménagements. On attend des arbres qu'ils régulent le climat, qu'ils stockent le carbone, qu'ils apportent du bien-être… et qu'ils poussent ! Mais au demeurant, on ne peut pas attendre d'eux plus que ce qu'on leur offre. D'où l'urgence de mettre en place des stratégies de désimperméabilisation, de pleine terre, de priorité devant les réseaux et les voiries... Et de dé-densification.

Comment les services se saisissent de ces observations ?

Les agents ont un savoir-faire. Ils ont une approche critique sur le terrain et sont volontaires. Les services de la DJB nous ont fourni leurs diagnostics, ce qui nous a permis de voir comment ils pratiquaient leurs mesures, ce qu'on pouvait en tirer et potentiellement améliorer. Nous avons deux projets subventionnés par la région Bretagne : un outil de suivi au sol et une application grand public. Nous travaillons aussi sur un module de formation pour les agents. L'ambition est de faire école de ce qu'on est capable de faire à Rennes, d'ensemencer dans d'autres collectivités et à l'échelle européenne. Plusieurs villes sont déjà intéressées par les solutions qu'on développe en lien avec la DJB. 

Lexique

  • Ilot de fraicheur : lieux repérés comme source de rafraîchissement au sein des villes (ex : parcs urbains).
  • Ilot de chaleur : lieux en ville où les températures nocturnes sont plus élevées par rapport à la campagne environnante.
  • Évapo-transpirer : vapeur d'eau rejetée la journée par l'arbre en respirant, ce qui apporte de la fraicheur.
  • Désimperméabilisation : rendre possible l'infiltration de l'eau dans le sol en enlevant les matériaux imperméables.
  • Dé-densification : réduire le nombre d'arbres plantés trop près les uns des autres.
  • Canopée : surface d'un arbre vu d'avion.
  • Objectif : 30 000 arbres d'ici à 2026

  • 17 % c'est la surface couverte par la canopée sur la métropole (dont 1/4 en secteur urbanisé)

  • 20 000 arbres plantés depuis 2020

  • 127 000 c'est le nombre d'arbres à Rennes en 2024

portrait dessiné de Marc Schwager

Marc Schwager, responsable de la maîtrise d'ouvrage à la direction des Jardins et de la Biodiversité, Ville de Rennes.

Comment se portent les arbres à Rennes ?

On observe des bourgeons qui sortent plus tôt au printemps et des feuilles qui tombent plus tard dans la saison. Le changement climatique est bien visible. Le chêne pédonculé, très présent sur la ville, en souffre. Le frêne, l'aulne et l'érable également. En même temps on observe une capacité de résilience sur des arbres qui ont toujours connu des conditions de vie difficiles. Certains d'entre eux passent les vagues de chaleur mieux que d'autres plantés dans les parcs. L'arbre est un être vivant qui développe des stratégies d'adaptation en cas de stress. Mais celles-ci peuvent être contre-productives pour les humains, comme ne plus évapo-transpirer ou rejeter des gaz potentiellement nocifs.

Pourquoi faut-il diversifier ?

En ville on a beaucoup d'alignements plantés dans les années 70-80, souvent composés d'une seule essence. Nous nous inspirons de ce qui est planté dans le sud-ouest de la France pour diversifier les palettes végétales, anticiper le changement climatique et prévenir les attaques de certains ravageurs. Par exemple, si une maladie se développe sur les tilleuls, c'est 20 % du patrimoine de Rennes qui est touché. Mais changer les pratiques est complexe, ça se fait dans la concertation.

Diversifier les palettes végétales

D'où la Charte de l'Arbre. Quels sont ses objectifs ?

L'idée c'est de partager la connaissance de l'arbre entre tous les acteurs de la ville. La Ville de Rennes est propriétaire de 50 % de la canopée, l'autre moitié se partage entre des acteurs institutionnels et des propriétaires privés. Hors de Rennes, la tendance s'inverse : la majorité sont sur des propriétés privées. Nous travaillons avec toutes les communes pour diversifier et renforcer le patrimoine arboré et préserver la biodiversité à l'échelle de la métropole. Nos stratégies lient la biodiversité et l'eau. Par exemple, pour chaque aménagement, on fixe l'objectif de 30 % de surface désimperméabilisée et 30 % de surface de canopée. À l'échelle de Rennes, nous élaborons un plan guide de la végétalisation et nous avons lancé des expérimentations pour se coordonner entre différents services.

 

Propos recueillis par Maxime Hardy