Alain Le Quernec, du poster à la postérité
De sa 1ère affiche réalisée en 1962 à ses collaborations avec le journal Le Monde, en passant par l’influence des événements de mai 1968 et de l’école polonaise, Alain Le Quernec est une figure majeure des arts graphiques. Entretien avec le créateur breton à l'occasion de l'exposition "Face au mur, le graphisme engagé de 1970 à 1990" au musée de Bretagne.
Comment définiriez-vous votre style ?
Je dirais justement que je n’ai pas de style graphique, et j’avoue d’ailleurs être en admiration devant les auteurs de bande dessinée qui vous croquent un personnage en 10 secondes. Mon style est plutôt une manière de penser, la forme vient après et l’humour joue un rôle primordial dans l’histoire. Par exemple, pour l’affiche de Valery Giscard d’Estaing réalisée en 1981, je suis d’abord parti du slogan « Sept ans de malheur, ça suffit », avant de penser illustration. Tout cela est très potache, au final !
Les arts graphiques sont-ils de gauche ?
J’ai envie de répondre « oui » mais ce n’est pas vrai. Pendant l’affaire Dreyfus, notamment, beaucoup de créations très fortes ont été produites des deux côtés. Les années 1970 et les événements de mai 1968 ont fait pencher la balance à gauche, mais non, les arts graphiques ne sont pas l’apanage des socialistes. Je suis pour ma part contre ce qui nous retient, contre ce qui est réactionnaire, en fait.
Pourquoi avoir choisi la voie des arts graphiques ?
J’avoue simplement une attirance pour l’image publique, pour ce qui est dans la rue, disponible au regard des passants. C’est mon côté exhibitionniste (rires, ndlr). Une affiche, c’est un simple morceau de papier, ça n’est rien. J’ai donc mis mes quelques talents au service de ce pauvre support. Dans les années 1970, à part le groupe Grapus et moi, nous étions très peu à avoir attrapé le virus des arts graphiques. De manière générale, les meilleurs ont choisi d’autres voies, réputées plus nobles.
L’influence de l’école polonaise dans votre parcours est primordiale
J’ai notamment fait un séjour aux beaux-arts de Varsovie en 1971. Là, je me suis formé auprès du peintre et affichiste Henryk Tomaszewski. L’école polonaise a profondément marqué l’histoire des arts graphiques. À l’époque, le pays était communiste, et pourtant, on y laissait libre cours aux talents. Alors qu’en France, l’affiche de cinéma avait une vocation commerciale, les polonais n’envisageaient que l’aspect artistique des choses. De manière générale, la censure commerciale est mille fois plus efficace que la censure politique.
Vous avez aussi signé une affiche des TransMusicales…
C’était en 1991, avant l’ordinateur. Je me souviens qu’on m’avait demandé quelque chose de « breton ». Je suis donc parti d’une carte météorologique pour dessiner cette silhouette de la Bretagne. Mise à la verticale, celle-ci fait étrangement penser à une tête de dinosaure !
Croyez-vous toujours au pouvoir du slogan ?
Les slogans sont souvent d’une grande bêtise, en réalité. En 1968, il y a eu une profusion de messages, mais l’époque a changé ! Aujourd’hui, je me demande si le but des gens n’est pas de se montrer sur les réseaux sociaux avec leur pancarte et leurs punchlines bien senties. Quand mes affiches sont sorties, personne ne les a vues ! Aujourd’hui, on en fait une exposition…
Propos recueillis par Jean-Baptiste Gandon
Le Quernec en bref
Alain Le Quernec est né en 1944 au Faouët, dans le Finistère. Il réalise sa 1ère affiche en 1962 et prend conscience de la force politique de ce mode d'expression en mai 1968. En 1971, il fait un séjour aux beaux-arts de Varsovie et se forme auprès d’Henryk Tomaszewski. De retour en Bretagne en 1972, il met son talent au service de causes, ou de mouvements sociaux, politiques et culturels régionaux…