Vingt ans… L’âge de raison ? Ou plutôt l’âge de Roazhon pour Yaouank, festival entièrement tourné vers les danses et les musiques bretonnes. Un anniversaire sans nostalgie, célébré pour l’occasion à la mode de chez nous.
ENTREZ DANS LA RONDE
Plus de dix mille festivaliers pénètrent chaque année dans la ronde de Yaouank, le plus grand fest-noz de Bretagne, et peut-être du monde. Avec bientôt vingt éditions au compteur, le festival est devenu un événement majeur mais reste, comme son nom l'indique, toujours aussi « jeune ».
Et pourtant elle tourne ! s’exclama Galilée en d’autres temps. La grande ronde du festival Yaouank met quant à elle les amateurs de gavotte sous hypnose depuis 1999. Le rendez-vous d’automne, il est vrai, détonne, avec sa force d’attraction reposant sur l’originalité de propositions artistiques rendant le plinn in et la gavotte hot, mais aussi une convivialité jamais démentie. « En vingt ans de festival, je ne me souviens pas d’une seule altercation », note le créateur de l'événement, Glenn Jégou. Si la musique adoucit les mœurs, alors la bombarde, importée jadis par les Croisés, est une arme de paix massive.
« Pour comprendre la création de Yaouank, il faut remonter à la fin des années 1990 et au Comité consultatif à l’identité bretonne, qui regroupait des associations, des intellectuels et des élus. Sa réflexion portait sur la langue régionale, son enseignement dans les écoles… » La question de la jeunesse est logiquement arrivée sur la table. « Le projet d’un immense rendez-vous comparable à ce qui se faisait à Cléguérec, la Mecque du fest-noz, est vite devenu une évidence. »
D'inoubliables nuits blanches... et noires
Le succès de la première édition, organisée en octobre 1999, dépasse toutes les espérances : « Nous attendions 2 500 personnes, il y en eut deux fois plus.» Au fil des ans et des pas de danse, la soirée unique se rallonge et devient multiple ; les bars s’en mêlent et les créations deviennent une tradition ; les affiches prestigieuses et les jeunes talents prometteurs mettent le feu au plancher pour créer une effervescence prodigieuse. « Notre chance est que, en parallèle, Rennes est devenue le laboratoire des musiques bretonnes actuelles », sourit Glenn Jégou. Joli symbole : les instruments bretons, fabriqués en bois d’ébène. Une essence introuvable en forêt de Brocéliande, même en allant prier au pied de l’arbre magique de Merlin.
« Un fest-noz, c’est avant tout de la danse. Et une gavotte reste une gavotte, c’est-à-dire que les musiciens doivent respecter un temps par exemple. » À Yaouank, la modernité règle son pas sur le pas du passé, mais pour mieux regarder devant : « On peut très bien imaginer une gavotte à la mode human beat box, avec Krismenn et Alem par exemple.» Avec des sonneurs de couple ou en mode kan ha diskan, électro ou punk-noz, le spectre du fest-noz est super large, d’esprit et d’accords.
L’engouement pour la mode musicale bretonne ne marque-t-il pas le pas ? « Il y a eu une grande vague dans les années 1990, notamment portée par les Ar Re Yaouank, Alan Stivell ou Dan Ar Braz. À l’époque, le moindre fest-noz rassemblait 500 personnes. Du club des bouddhistes à l’amicale laïque, tout le monde voulait son fest-noz. » La marée est plus basse aujourd’hui, mais la musique bretonne ne sonne pas creux pour autant, et le bzh fait toujours le buzz.
Plus d'infos sur le site du festival
VINGT ANS, ET TOUTES SES DANSES !
Le festival Yaouank fête ses 20 ans ! Pas de nostalgie au programme, même si le grand fest-noz d’automne bat le rappel des fidèles pour la belle occasion.
20 ans… Le temps n’a pas prise sur l’événement breton préféré des Rennais. Comme si les musiques et les danses bretonnes étaient, telle une potion magique, source d’éternelle fraîcheur. Il en faudra pour entrer dans la ronde du festival qui commencera par un fest deiz (le 1er novembre au Mod Koz) pour s’achever avec le plus grand fest-noz de Bretagne (le 17 novembre au Parc Expo). « Le plus grand, mais aussi sûrement le plus long, puisqu’il commencera à 16 h pour s’achever le lendemain à l’aube ». Pas de noz’talgie au programme, donc, même si les compagnons de la première heure (Jean-Charles Guichen, Denez Prigent, Dan Ar Braz, etc) seront bien là aux côtés des promesses de demain (voir par ailleurs).
"Yaouank aura toujours 20 ans"
« ‘Sans hier et sans demain, aujourd’hui ne vaut rien’, a dit Pierre Jakez Hélias. Cette citation illustre parfaitement la modernité des traditions bretonnes. » Pas de deux entre hier et demain, l’événement est d’autant plus hospitalier que la plupart des propositions artistiques sont accessibles : grand fest-noz du Parc Expo, soit plus de 12 heures de concerts, à 20 € ; gratuité offerte aux moins de 18 ans ; tarifs avantageux offerts par la carte Sortir ; concerts dans les bars, sans oublier les nombreuses propositions en entrée libre. «Yaouank, c’est une esthétique, mais aussi une culture du partage, une mixité sociale et géographique très forte. Un grand moment de bienveillance et de communion, aussi. C’est peu de le dire, mais ici, des gens qui ne se connaissent pas se tiennent par la main ! »
YAOUANK, plus de 60 groupes, du 1er au 17 novembre, au parc expo, au Tambour, aux Champs Libres, dans les bars...
DAN, DENEZ ET TATUYA
Quelques morceaux choisis dans cette 20e édition par Glenn Jégou, le programmateur du festival Yaouank. Au menu : retours de vague, artistes en vogue, vintage enragé et voyage.
Retour de vague. Jean-Charles Guichen invite le bagad de Perros, les légendes celtiques Dan Ar Braz et Denez Prigent pour célébrer la sortie de son album « Breiz’n’Ankou ». « En famille avec son frère Fred, ou avec son groupe Ar Re Yaouank, l’histoire de Jean-Charles se confond avec celle du festival. C’est plus qu’un habitué, même si à chaque fois qu’il vient, c’est une grande première ! »
Toujours en vogue. Compagnons de route de Yaouank, Hamon-Martin quintet, Plantec et Kendirvi figurent parmi les incontournables de cette 20e édition. Du trad’ étonnamment moderne, du rock et de la gavotte aux accents des pays de l’est, que demander de plus ?
La rage du vintage. Les feu follets énervés de Gwenfol étaient de la 1ère édition de Yaouank, en 1999. « Ils étaient alors étudiants, et deviendront une des groupes majeurs des années 1990. Pour la petite histoire, ils ont participé aux TransMusicales deux ans plus tôt, aux côtés d’un certain Rachid Taha. »
Bretagne voyageuse. Le couple Hashimoto-Ogawa illustre merveilleusement bien l’universalité de l’univers celte. « Tatuya et Juri ont été conquis par la musique bretonne alors qu’ils étaient étudiants à Rennes. De retour au Japon, ils ont continué à cultiver leur passion pour l’accordéon, le violon, et le kan ha diskan. »
Show devant ! Né à Rennes, le Nâtah Big Band s’est révélé il y a deux ans sur la scène de Yaouank. Passés par les Vieilles charrues et le festival Interceltique, puis auréolés du prix du disque produit en Bretagne pour « Caméléon », ces jeunes hommes de vingt-cinq ans sont désormais très attendu, et comptent bien continuer de se faire entendre.
PORTRAITS CRACHIN
Jean-Charles Guichen : arrêt Yaouank obligatoire
Pionnier des musiques bretonnes, Jean-Charles Guichen était de la vague des années 1980, quand une bande d’irréductibles armoricains décidèrent de faire connaître leur culture au reste du monde. Miracle : trente ans après ses débuts, le jeune homme a toujours 20 ans !
Au moment d’évoquer Yaouank, Jean-Charles Guichen a la mémoire qui planche, et pour cause. Le guitariste n’est pas né du dernier crachin et ne compte plus ses passages sur la scène du festival rennais. « Je dirais que j’ai participé à une quinzaine d’éditions. » Un souvenir demeure gravé dans sa mémoire, aussi indélébile qu’un tatouage de marin : « nous sommes en 1999, mon groupe Ar Re Yaouank a raccroché depuis un an. En escale à Rennes, je bois un verre en terrasse d’un café lorsque j’aperçois une affiche annonçant la 1ère édition de… Yaouank. ! Je me suis dis : ‘c’est quoi cette histoire’ ? » Les mots se font écho, et Jean-Charles deviendra rapidement un fidèle ami du festival rennais.
Un fest-noz qui ose la ville
Avec Ar Re Yaouank (reformé pour la bonne cause en 2013), en formation familiale avec son frère Fred ou en solo, Jean-Charles ne compte plus ses passages sur la scène du grand fest-noz, mais se souvient qu’à chaque fois, c’était une grande première.
« Pour moi et nombre de musiciens bretons, Yaouank est d’abord le plus grand fest-noz du monde. Voir 8000 personnes réunies pour danser est exceptionnel, et tout musicien breton qui se respecte rêve d’y participer. » « Tremplin pour les jeunes », le festival Rennais est aussi « le rendez-vous annuel du fest-noz en Bretagne. Les musiciens ont la chance d’y bénéficier des techniques de sons et de lumière les plus modernes et peuvent donc s’y produire dans les meilleures conditions. »
« Yaouank, c’est braz, c’est à dire grand », résume-t-il, tout simplement. Cette année, il verra lui aussi les choses en braz, avec Breiz‘n’Ankou. Le nom de son dernier album mais aussi d’un grand spectacle, qui réunira le bagad de Perros, les légendes celtiques Denez Prigent et Dan Ar Braz sur le même plateau. « Dan Ar Braz, c’est celui qui m’a donné envie de jouer de la guitare en 1976 ! Je crois pouvoir dire que ce sera la première fois que les deux artistes joueront ensemble lors d’un fest-noz. » La comète risque de ne pas repasser souvent, autant sauter sur l’occasion.
« Un fest-noz en ville… Il fallait quand même oser ! » Nous dirons même plus, il fallait quand même nozer !
Denez Prigent : la transe en danse
Les foules de Bretagne et d’ailleurs se lèvent toutes pour Denez, le chanteur enchanteur, et cela fait plus de trente ans que le plaisir dure. Après avoir longtemps délaissé le fest-noz pour la formule plus classique du concert, il est revenu à ses premiers amours armoricains à la faveur de Yaouank. Bienvenu au festival de kan… ha diskan.
Discret, humble, modeste, aux antipodes de sa voix qui porte, puissante et passionnée. Denez Prigent est comme ça : un timbre unique, voyageant depuis plus de trente ans par monts d’Arrhée et par vaux d’Extrême Orient.
Les passages du chanteur breton à Yaouank se comptent pourtant sur les doigts d’une main : « la première fois, c’était il y a une quinzaine d’années, en formation acoustique. Puis j’ai été invité par les frères Guichen, il y a trois ans. » Pourquoi un si long silence entre ses deux apparitions ? Le chanteur a abandonné un temps le fest-noz pour donner de simples concerts, dans lesquels les spectateurs remplacent les danseurs. Fin de la parenthèse, le Denez du noz est de retour, pour le plus grand plaisir de Jean-Charles Guichen, qui l’invite cette année à Yaouank.
Le Denez du noz est de retour
« Revenir au fest-noz m’a fait remonter dans le temps, et m’a surtout rappelé que l’énergie qui y est dégagée n’a rien à voir avec celle d’un concert. Je n’avais jamais chanté devant un public aussi nombreux, c’était très impressionnant. » Merci à Jean-Charles, et à Yaouank, donc : « ce festival est très important dans la mesure où son programmateur Glenn Jégou, également animateur radio, à l’oreille collée à la nouveauté. Yaouank est une vitrine de la modernité des musiques bretonnes, ce qui signifie aussi que celles-ci n’ont rien de folkoriques, et qu’elles sont bien vivantes. » Et le prince du ka ha diskan d’évoquer des conditions techniques du festival, de son et de lumière notamment, toujours optimales. Tout cela donne un côté très actuel au fest-noz. Les jeunes ne s’y trompent pas et viennent chaque année en nombre. »
« À la limite, il y a autant de musiques bretonnes que d’interprètes. Nous avons la chance d’avoir une matrice sur laquelle peut se greffer l’innovation : cantiques, gwerz, berceuses… Nous avons eu la bonne idée de collecter et de conserver nos traditions, y compris les variantes de kan ha diskan et les centaines de gavottes. Le répertoire est aussi extraordinaire qu’inépuisable. » Jazz, électro ou classique, les musiques bretonnes ont ceci d’universel qu’elles s’accommodent à toutes les sauces. « Il est très stimulant et inspirant pour moi de voir la musique évoluer. À mon époque, il fallait se battre pour avoir droit de citer, ça fait plaisir de mesurer le chemin parcouru. »
À Yaouank, dans quelques jours, Denez se rappellera donc sa jeunesse, et célèbrera le Breizh’n’Ankou, du nom de l’album de Jean-Charles Guichen. « Le fest-noz vaut tous les conservatoires du monde. À l’image du pub irlandais, c’est là que tout s’y apprend. Enfin, tous les musiciens sont au service d’une même cause : les danseurs. » « La musique de fest noz a quelque chose d’entêtant. Ces pulsations qui remontent de la nuit des temps me font penser à certains rythmes africains, ou aux bpm de la musique techno. Comme si le temps s’arrêter pour nous transporter jusqu’à un état de transe…» À l’image des vagues de danseurs qui fluent et refluent sur le parquet pour nous mettre sous hypnose.
Nâtah Big Band : les Blues Breizhers
Né en 2016 d’un big bang sur la scène de Yaouank, le Nâtah Big Band prend ses distances avec les musiques bretonnes pour mieux y revenir. De l’universel à l’univers celte, il n’y a qu’un passage à Yaouank, source d’éternelle jeunesse.
Brass band brassant les influences, breizh band battant le rappel des musiques bretonnes urbaines, le Nâtah Big Band est un peu tout cela à la fois : une bande de jeunes hommes biens dans leur tempo, sensibles à la puissance du rock et à la fusion du jazz, mais trop amoureux de leur territoire pour ne pas y revenir.
Accordéon, flûte et bombarde d’un côté ; guitare, basse, batterie de l’autre. « Nous voulions conserver l’énergie d’un power trio, et la mettre au service des musiques bretonnes », éclaire Clément, 24 ans, et préposé au piano à bretelles.
Du jazz dans le paysage
La suite de l’histoire, quant à elle, doit autant au jazz qu’au hasard. « L’idée de créer un big band était un peu une blague, au départ. » Une fois soumise à Glenn Jégou, monsieur Yaouank, la blague s’est transformée en concert, sur l’immense scène du grand fest-noz rennais. « Nous avons eu la chance de nous produire à Yaouank avant même d’exister ! Ça a été un tremplin incroyable pour nous. »
Deux ans plus tard, le Nâtah Big Band revient en terrain conquis, auréolé d’un premier album dont le nom résume en un mot le propos du groupe rennais : « ‘Caméléon’, un animal avec une forte identité, mais qui se fond sans problème dans le paysage. » Le Nâtah a donc le karma caméléon, et cela tombe bien, car son nom est aussi, mais c’est un hasard, celui d’un danseur cosmique hindou.
« Les musiques bretonnes ne sont pas bridantes, continue Clément. Elles n’imposent pas d’harmonie, ni de rythmique contraignante… » Le groupe inspiré par le jazz fusion de Brooklyn et les Snarky Puppy croque dans la vie comme dans la grosse pomme, pour le plus grand bonheur des spectateurs de la prochaine édition de Yaouank. « L’avantage de ce festival, c’est qu’il dure longtemps, et propose beaucoup d’événements. Les jeunes musiciens, y compris amateurs, peuvent y trouver leur place, et côtoyer les noms les plus prestigieux. Pour le public, le point de vue est donc imprenable : le festival leur propose ni plus ni moins une photographie des musiques urbaines bretonnes à un instant T. » Quand les musiques bretonnes actuelles cherchent ailleurs, elles reviennent toujours à Yaouank, le rendez-vous celtique magnétique.
JE DANSE DONC JE SUIS : OÙ SE DÉHANCHER EN BRETON ?
En mode flash mob, bal sauvage ou tout au long de l’année, les idées ne manquent pas pour rentrer dans la ronde des danses bretonnes.
Au MusikHall, le jour du grand fest-noz de Yaouank. Pour ceux qui n’auraient pas leur permis fest-noz, Yaouank a imaginé un cours pour apprendre les bases, de 16h à 18h, au parc Expo, le 17 novembre.
Dans les cercles celtiques. Le territoire de Rennes Métropole, abrite une dizaine de cercles celtiques. Pour y apprendre à danser, en mode loisir ou au sein d’un ensemble chorégraphique.
Au sein d’une association étudiante. L’ASCREB, à Beaulieu, et Kejadenn à Villejean, attendent les élèves désireux d’obtenir leur master gavotte ou ridée.
Dans les bistrots. On peut s’offrir un pot au Ty Anna et au Mod Koz, mais aussi quelques pas de danse, en toute convivialité.
En mode sauvage. De plus en plus en vogue, les bals sauvages organisés dans l’espace public se servent des réseaux sociaux pour lancer leurs alertes à la bombarde. Pour les plus sages, guetter la fin du marché des Lices peut également réserver des bonnes surprises.
SKEUDENN, L'IMAGE DE ROAZHON
Née à la fin des années 1970 d'une envie de « plus de Bretagne », la fédération d’associations Skeudenn Bro Roazhon, à l'origine de Yaouank, peut aujourd’hui mesurer le chemin parcouru. Le moins que l’on puisse dire est que ce dernier n’a usé ni la langue, ni l’allant de la culture bretonne.
La musique, traditionnellement actuelle ; la danse, qui ne cesse de régler ses pas entre passé et présent ; la langue, bien sûr, loin de rester dans la poche d’adeptes en même temps branchés sur les nouveaux langages cybernétiques ; les jeux, car même si la PlayStation universalise le ludique, l’on se divertit aussi en breton ; sans oublier le sport qui, à l’image de la lutte gouren, nourrit les espoirs de toute une région soucieuse de ne pas faire de la culture bretonne un musée. Une culture traditionnelle en prise avec la société, qui s’amuse, toujours en mouvement… Autant de reflets renvoyés par la fédération Skeudenn Bro Roazhon (pour Images du Pays de Rennes), depuis sa création voilà plus de trente ans.
Né à la fin des années 1970, l’Union du Pays rennais des associations culturelles bretonnes (UPRACB) regroupe à l’origine une poignée d’irréductibles aux premiers rangs desquels le bagad Kadoudal, le Cercle celtique de Rennes, les associations Diwan, Kevrenn de Rennes et Skol An Emsav. Au milieu du « désert français » entretenu par la république centralisatrice, jaillit donc à Rennes un oasis où la culture bretonne pourra désormais plonger ses racines. Même s'ils se tournent vers l’ancien temps, les fédérés de l’UPRACB figurent les pionniers d’un nouveau monde, comme le montrera la suite : d’une poignée, le nombre d’associations regroupées dans Skeudenn Bro Roazhon (baptisé ainsi à partir de 1998) ne cesse de progresser pour atteindre le chiffre de 54, soit à peu près 4 000 adhérents. « Historiquement, c’est la première entente de pays de Bretagne, se réjouit Glenn Jégou. La formule a fait des petits, puisqu’on en compte aujourd’hui 17. La totalité de la région est couverte. »
La lumière vient donc de l’est de la région, et Rennes ne sera jamais en reste concernant la beauté du geste précurseur. « Skeudenn regroupe notamment des ensembles musicaux, dont cinq bagads, ainsi que douze ensemble chorégraphiques. Parmi eux, certains jouent le rôle d’ambassadeurs de la ville aux quatre coins du globe.» Le nom de Yaouank, l’événement phare organisé par Skeudenn Bro Roazhon, est à lui seul tout un message : Yaouank, le plus grand fest-noz du monde, qui signifie « jeune ».
Avec la langue
La capitale de Bretagne embrasse généreusement la culture bretonne, et même si danser kof à kof (le slow) fut longtemps considéré comme sacrilège, elle n’hésite pas à mettre la langue au cœur de sa relation passionnelle. « L’idée que Rennes n’est pas une ville de langue bretonne repose sur une vision éculée de sa pratique et de son développement, pose Glenn Jégou. La culture de notre région s’est fortement urbanisée, la plupart des Bretons vivent en ville. La Bretagne, c’est Brest, Nantes, Lorient, Rennes… »
La capitale de Bretagne dessine aujourd’hui son futur : « 900 élèves sont aujourd’hui scolarisés en filière bilingue, du primaire à la terminale. Il s’agit à ma connaissance de la plus grosse fréquentation de la région. Pour information, la première filière bilingue publique a été créée ici, en 1978. C’est également à l’université Rennes 2 que fut mis en place le premier cursus entièrement breton. » Récolter les lauriers de César au pays d’Astérix, l’idée est amusante… « Nous pouvons prendre l’exemple de l'école des Gantelles, située à Maurepas, un quartier populaire plutôt cosmopolite de Rennes. Nous avons constaté que des gens issus de l’immigration s’essayent à la langue bretonne. De manière générale, beaucoup de non-Bretons s’y mettent, ce qui démontre encore la force d’attraction de notre culture. » Qui a dit : « La patrie, c’est là où l’on se sent bien ? » Signe particulier d’une population jadis minoritaire, la langue bretonne joue aujourd’hui un rôle d’intégration.
« Saviez-vous que Diwan est le premier lycée de France en matière de réussite au bac ? Les professeurs sont en général très demandeurs d’élèves issus des filières bilingues.
Ces derniers ont plus l’habitude de participer en cour, et ont davantage envie de transmettre. La langue est la colonne vertébrale d’une culture : la musique, la danse,
les jeux bretons et même son système économique en découlent. »
Chassez le naturel… il revient au gallo, le parler d’un territoire débordant hors des frontières historiques de la Bretagne. Comment faire cohabiter deux traditions, cousines mais si différentes ? « Nous sommes dans une logique de complémentarité, et d’ailleurs Skeudenn accueille des associations œuvrant pour la promotion de la culture gallèse. Petite anecdote rigolote : toute la signalétique de Yaouank est bilingue… Je ne parle pas du français, bien sûr, mais du breton et du gallo. »
ALERTE À LA BOMBARDE ! LE BAGAD, ENTRE MODERNITÉ ET TRADITION
Il y a maintenant plus de 70 ans, bombardes, binious et caisses claires résonnaient ensemble, pour la première fois, à Rennes, place du Parlement de Bretagne. Retour sur l'histoire de ces ensembles pas comme les autres, passés maîtres dans l'art de mêler transmission, modernité et ouverture aux autres musiques.
L'histoire des bagadoù est liée à un nom, celui de Polig Monjarret, à l’initiative de la représentation du 2 mai 1943. « Fondateur de l’Assemblée des sonneurs de Bretagne – Bodadeg ar Sonerion – , c’est aussi lui qui a créé le premier bagad,
à Carhaix, en 1948 », souligne Bob Haslé, président de Bodadeg ar Sonerion Bro Roazhon (BAS 35). Inspiré des pipe bands écossais, le bagad comporte alors, et c’est toujours le cas, trois pupitres : bombardes ; binious braz, remplacés progressivement par la cornemuse écossaise ; et rythmiques, caisse claire et percussions. Bob Haslé, lui, est « né à la musique bretonne à l’âge de 8 ans ». Nous sommes en 1953 et il assiste au défilé de la Fête des fleurs, à Rennes, avec chars, formations musicales et… bagadoù. Depuis, cette musique ne l’a plus quitté.
Dès 1954, il est inscrit à Yaouankiz Breizh, qui regroupe 400 jeunes, et rejoint, à 14 ans, le bagad Kadoudal, dans le pupitre cornemuse, tous deux créés par le Cercle celtique de Rennes. C’est alors qu’il en est le penn-sonneur (chef sonneur) que le bagad Kadoudal accède pour la première fois, en 1967, au titre prisé de champion de Bretagne.
10 000 musiciens traditionnels
Sa passion, Bob Haslé l’a mise au service du plus grand nombre, tout d’abord en créant en 1975 le bagad de Vern-sur-Seiche (qui prendra le nom de Kadoudal, lorsque le bagad rennais cessera d’exister, en 1982), puis en s’investissant dans la relance de BAS 35, à la fin des années 1970. Il sera aussi un temps président de BAS, structure qui rassemble aujourd’hui 150 bagadoù, en Bretagne et au-delà, en Guadeloupe et New York, notamment, et 10 000 musiciens. L’association a par ailleurs contribué au collectage des airs de musique traditionnelle.
« La musique de bagad est une musique qui évolue et s’ouvre aux autres musiques. » Une autre manière de dire que la Bretagne ne connaît pas de frontières…
LA MUSIQUE TRADITIONNELLE EN ORDRE DE BAGAD
Héritier des pipe-bands écossais, le bagad a ajouté aux cornemuses et aux batteries un instrument traditionnel breton : la bombarde, dont les mélodies stridentes emplissent régulièrement l'atmosphère des festoù-noz. Les bagadoù fonctionnent de manière invariable sur la base des ces trois pupitres et sont dirigés par le penn-soner. Véritable chef d'orchestre, il donne le la à cet impressionnant ensemble, qui peut parfois atteindre plus de soixante musiciens !
Les bombardes
La bombarde appartient à la famille du hautbois : cet instrument à anche double, taillé dans l’ébène, le buis ou du bois fruitier, connaît son apogée au XIXe siècle en Cornouaille, dans le pays vannetais et dans le pays de Loudéac, où le sonneur de bombarde jouait des airs à danser et des mélodies, en couple avec un joueur de biniou kozh. La bombarde en si bémol a rapidement trouvé sa place au sein des bagadoù et attire de plus en plus de femmes.
Les cornemuses
Les cornemuses forment une large famille en Europe. C’est la grande cornemuse écossaise, le Great Highland Bagpipe, qui est utilisée par les musiciens des bagadoù. Il ne faut pas la confondre avec le biniou kozh, une petite cornemuse proche de la veuze, utilisée en couple avec la bombarde ! Le biniou bras, comme on l’appelle en Bretagne (littéralement : grande cornemuse) se compose d’une poche, d’un chalumeau conique à anche double et de trois bourdons.
Les caisses claires et percussions
Au sein du bagad, les batteurs représentent un pupitre très diversifié : plusieurs caisses claires écossaises sont accompagnées d’une grosse caisse. Ce tambour de grande taille qui donne un son grave et puissant date du Moyen Âge et apparaît dans les orchestres au XVIIIe siècle. Les musiciens utilisent aussi des toms, débarqués en Europe dans les années 1930 avec l’arrivée du jazz : de dimension variable, ils sont fixés sur des trépieds et sont frappés par des mailloches à tête dure ou feutrées, ou par des balais en métal. Les batteurs utilisent aussi ponctuellement des cloches tubulaires, des gongs, des cymbales et même des djembés.
Le bagad invite d’autres instruments
Lors des concours ou des concerts, les bagadoù font ponctuellement appel à d’autres instruments. Le but : proposer de nouvelles interprétations du répertoire traditionnel, en confrontant la culture bretonne à d’autres expressions artistiques, comme le jazz, la musique classique, le rock ou d’autres traditions populaires.
La guitare basse, la contrebasse, la clarinette ou le chant sont donc régulièrement invités, sans compter des percussions en tous genre. À l’occasion de la création Breizh-Kabar, la Kevrenn Alre avait collaboré avec Firmin Viry, figure du maloya à La Réunion : Tout récemment, le trompettiste Youenn Le Cam, musicien d'Ibrahim Maalouf, a signé une création d’envergure avec le bagad du Bout du monde en mêlant trompette, chants et instruments du bagad.
TRAD' ET TRENDY : LA MUSIQUE BRETONNE AU CONSERVATOIRE
Au même titre que la musique classique, le jazz ou les musiques actuelles amplifiées, le Conservatoire de Rennes propose aussi des cours de musiques traditionnelles. Environ 40 élèves sont inscrits cette année au sein de ce département, en bombarde, biniou, chant, danse ou harpe. Des musiciens déjà très à l'aise dans leur pratique instrumentale ou vocale, qui veulent approfondir leur démarche musicale et souhaitent obtenir le DEM (Diplôme d’Études Musicales), pour pouvoir enseigner par la suite. Ils ont démarré plus jeune la pratique d’un instrument dans les écoles de musique municipales de la métropole ou bien vers des associations, comme le Cercle celtique de Rennes, La Bouèze, ou les Bagadoù.
Quatre enseignants les accompagnent. « Notre but, c’est de leur donner une culture musicale approfondie, souligne Mikaël Jouanno, professeur de bombarde et responsable du département de musiques traditionnelles. Pour cela, le rapport aux sources est très important : même s’ils sont parfois virtuoses dans la maîtrise de leur instrument, ils n’ont pas forcément le style ou la connaissance du terroir. » Une démarche d’enseignement basée sur la transmission du répertoire de Haute et de Basse-Bretagne. « Je me considère comme le médiateur entre l’étudiant et le répertoire explique Marc Clérivet, enseignant de chant traditionnel aux Conservatoires de Rennes et de Brest. L’idée c’est de les aider à replacer un enregistrement issu de collectage dans un contexte particulier et de voir comment ils peuvent l’adapter aujourd’hui. »
Après le Conservatoire, une partie des étudiants rejoint Le Pont Supérieur, un pôle d’enseignement supérieur du spectacle vivant, à cheval entre la Bretagne et les Pays de la Loire, basé à Rennes. L’occasion pour eux de rencontrer et de travailler avec des intervenants extérieurs comme le chanteur Yann-Fañch Kemener, le guitariste Ronan Pellen ou l’ethnomusicologue Emmanuel Parent. Au-delà de l’apport théorique, ces étudiants multiplient les créations. Une fois par mois, le pub Ty Anna leur ouvre ses portes, afin qu’ils puissent proposer leurs prestations en solos, en duos ou en trios, au grand public.
LA VIE EN NOZ
À l'origine petite fête spontanée entre voisins, après les travaux des champs,
le fest-noz, a pris, dans les années 1950, les traits d’une fête organisée, ouverte à tous. Inscrit depuis décembre 2012 sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, il s’agit d’un art bien vivant, ancré dans le patrimoine culturel et inscrit dans le quotidien.
« Aujourd’hui, on compte environ 1 000 à 1 500 fest-noz par an, qu’ils rassemblent 150 à 200 personnes ou des milliers, comme Yaouank », annonce Ronan Guéblez, président de Dastum Breizh. Pourtant, en 1940, cette pratique, née en Centre Bretagne, avait quasiment disparu. « C’était à l’origine une fête entre voisins, après les travaux des champs, l’arrachage des pommes de terre, par exemple. » Quoi de plus naturel, quand des gens se retrouvent entre eux, que de chanter ? « Il y a à l’époque, pour accompagner les danses, beaucoup plus de chanteurs que de sonneurs, avec en particulier le kan ha diskan, chant en couple. » C’est dans les années 1950 que le fest-noz va prendre son essor, « sous l’impulsion de plusieurs personnes, dont Loiez Ropars, et sous une forme différente ». La fête privée devient une fête organisée, dans des salles pouvant accueillir plusieurs dizaines à plusieurs centaines de personnes, ouverte à tous, avec entrée payante, « comme un bal ».
Une génération décomplexée
Depuis le premier fest-noz mod nevez (nouvelle manière), organisé en 1955 à Poullaouen, dans le Finistère, celui-ci a su creuser son sillon bien au-delà de sa terre d’origine, à l’image des Bretons quittant les champs pour la ville et franchissant les frontières. Des années 1950 à 1970, le fest-noz, et sa version de jour, le fest-deiz, reste principalement chanté et limité au Centre Bretagne.
« Début des années 1970, c’est l’explosion, dans le sillage d’Alan Stivell. C’est alors toute une génération, la jeune, qui est décomplexée. » Le fest-noz s’étend alors à toute la Bretagne, des groupes se créent, les instruments, anciens et modernes, se côtoient. « C’est le mélange de la culture et du plaisir. » Après un reflux dans les années 1980 et une nouvelle explosion dans les années 1990, « le fest-noz s’est désormais banalisé. Il draine une clientèle mélangée, même s’il semble moins attractif pour les jeunes. Ce qui perdure, c’est qu’il reste un événement pour s’amuser après le travail. »
Un nouveau défi
L’aspect convivial et la mixité sociale et intergénérationnelle sont d’ailleurs deux éléments qui ont été mis en avant dans le dossier de candidature pour l’inscription au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, effective le 5 décembre 2012. C’est aussi une pratique présente dans le quotidien, loin de tout folklore.
« Personne ne se met en costume pour aller au fest-noz ! » Chacun a son ambiance et ses couleurs, du grand rassemblement d’été en plein air à l’atmosphère plus confidentielle des petites salles conventionnelles l’hiver… Mais ils ont tous un point commun : « C’est un lieu où se retrouvent musiciens amateurs et professionnels. Ce libre accès au micro est l’une des caractéristiques des fest-noz, insiste Ronan Guéblez. Tous les musiciens actuels de la scène pro ont démarré comme amateurs. »
À l’heure des discussions sur le spectacle vivant et les pratiques amateurs, l’inscription du fest-noz sur la liste du patrimoine culturel immatériel est « un atout pour défendre cette spécificité du fest-noz ».