Métro, train, autobus, voiture, vélo, trottinette, skateboard… Aujourd’hui, tous les moyens de transports sont dans la nature urbaine de Rennes. Mais au fait, c’était comment avant ? Nous vous invitons à monter à bord de notre machine à remonter le temps, pour vous transporter jusqu’au XIXème siècle, quand le tramway battait le pavé rennais.
Rassurez-vous, aucun excès de vitesse à déplorer, ni de démarrage sur les chapeaux de roue en perspective, mais un récit mené à un rythme de croisière, riche en haltes et digressions, en bruits de cloche et en confettis.
Tous les passagers ont poinçonné leur billet, le voyage peut donc commencer. Alors, en voiture Simone !
Nous aurions pu commencer notre histoire en 1788, à la veille de la grande Révolution française, en montant à bord de l’un de ces carrosses ou fourgons, reliant chaque jour Rennes à Versailles. Mais cette voie royale était trop facile.
Ou bien lâcher un postillon, du nom de ces cochers chargés de mener la malle-poste sur les routes du département, dans leur redingote rouge et leurs bottes de sept lieues, au XIXème siècle. Ces facteurs à cheval d’un autre temps se relayaient toutes les sept lieues, soient 28 kilomètres. Mais nous laisserons l’ogre, le petit poucet et ces voitures hippomobiles aller par monts et par vaux dans le département, pour mieux nous concentrer sur le cœur de Rennes.

DRÔLE DE TRAM
Le développement des transports rennais suit une trame assez classique, dirons-nous : après l’avènement du rail et des chemins de fer, les bus et les automobiles vont s’adapter aux aménagements urbains successifs, jusqu’à ce qu’un métro en site propre joue à la chenille dans les sous-terrain de la ville, au début du nouveau millénaire.
Pas de train volant dans le ciel au programme, donc. Rennes n’est pas Puddlard, mais l’histoire vaut malgré tout le détour, à l’image du dispositif « Vélo à la carte », mis en place en 1998, et qui constituera une innovation pour l’époque.
Mais trêve de bon a parte, revenons à nos wagons. L’agenda indique le 26 avril 1857, et Napoléon III a fait le déplacement pour assister à l’inauguration de la gare de Rennes. Située à 1 kilomètre au sud du centre ville, en rase campagne, cette dernière ne manque pas de laisser les rennais circonspects, qui devront recourir aux service d’une calèche pour s’y rendre, en attendant le tramway. Le tracé de l’avenue Janvier va jouer le rôle de cordon ombilical avec le reste de la cité. Un service de voitures à louer, appelées omnibus, est mis en place en parallèle.
Voilà nos rennaises et rennais, prêts à se laisser transporter, pour rejoindre par exemple, Saint-Malo et la côte, à l’occasion d’une sortie dominicale.
Rennes en 1948. Quoi de mieux que le tramway pour visiter la ville ?
En 1894, la mise en exploitation du Tramway d’Ille-et-Vilaine ajoute un service supplémentaire à la gamme des transports en commun rennais. Jusqu’en 1952, ce dernier proposera plusieurs haltes et gares dans la ville, à la Croix-de-Mission, Saint-Cyr, Viarmes et La Touche, où se trouve également le dépôt des locomotives.
Devant le Parlement de Bretagne ou rue de la Monnaie, le promeneur attentif ne manquera pas d’apercevoir les anciens rails du tramway. Les traces d’un passé encore visible et se dessinant, tel un palimpseste, sur les pavés rennais.
L’occasion de se souvenir que la Commission des travaux avait d’abord proposé un projet de « chemin de fer américain », c’est-à-dire à traction hippomobile. Une idée repoussée par le conseil municipal du 17 aout 1871, qui mettra en avant les inconvénients d’une voie de cette nature dans les rues étroites et populeuses de Rennes. Ces voitures à cheval concurrenceraient en outre les calèches de la compagnie de l’Ouest.
Traction hippomobile, tramway électrique ou à air comprimé… Les projets se succèdent, et une commission spéciale se déplace à Rouen et Saint-Étienne pour étudier les techniques employées par ces réseaux. Une chose est sûre, le tramway rennais devra être capable de gravir les côtes de la capitale de Bretagne.

La solution de la traction animale est définitivement rejetée, jugée peu flexible aux pics de trafic. Le coût des rations, le renchérissement des chevaux, leur usure rapide, et les épidémies sont autant d’arguments contre.
C’est décidé, la locomotive et ses chevaux vapeur vont remplacer ces valeureuses tractions de chair et d’os.
Plusieurs projets sont successivement présentés : celui des ingénieurs Jacquelin et Dufresne, en 1875 ; celui de Kremer et Bouniol, deux ans plus tard ; en 1882, De Ridder imagine un réseau de tramway avec locomotive à vapeur. Comptez 15 centimes le voyage ; en 1888, l’industriel belge Jules Wilmart tente sa chance, et imagine un réseau de 8 kilomètres avec la place de la mairie pour épicentre. Des tarifs réduits pour inciter les ouvriers à voyager sont par ailleurs envisagés. Les militaires au grade supérieur à sous-officier auraient également droit à un tarif spécial ; Landron, et ses voitures automotrices « sans bruit, sans feu ni fumée », en 1892 ; Denèfle et Cie en 1895 ; c’est finalement le projet de Faye et Grammont qui remporte la mise. Le banquier et l’industriel ont déjà obtenu la concession des réseaux de Dijon et Besançon, avec leur tramway électrique à fils aériens.
Pour descendre, les voyageurs devront tirer sur une lanière de cuir reliée à une cloche. La mélodie deviendra une ritournelle du quotidien rennais. L’électricité et ces 550 volts nécessaires en courant continu seront quant à eux produits par une usine à charbon localisée boulevard Laënnec. Manne inattendue, les surplus dégagés par la centrale sont revendus aux industriels, dégageant des profits substantiels. Combien de chevaux sous le capot des motrices ? Quinze ! Et les freins ? Par manivelle et cliquet !

LE SPECTRE DE L'AUTOCAR
Le tramway de Rennes va transporter les Rennais de 1897 à 1952. La Compagnie de l’Ouest Électrique gère un réseau concentrique de 13 kilomètres rayonnant autour de la place de la mairie, où se font la plupart des correspondances. 5 lignes sont tracées, sillonnées par 22 motrices de 40 places chacune. En 1910, 3 millions de voyageurs poinçonnent leur ticket.
En 1907, la première ligne interurbaine est tracée, et les amateurs de pique-nique au bord de l’eau peuvent désormais se rendre à Cesson-Sévigné. Pour profiter du voyage, les chiens doivent quant à eux payer demi-tarif et rester sagement sur la plate-forme.
Si il est efficace, le réseau s’expose malheureusement à une usure rapide, au point que le conseil municipal s’en émeut :
Il n’existe pas une seule ville en France où une Compagnie de tramways ose mettre en circulation des voitures aussi inconvenantes que celles que nos concitoyens ont journellement sous les yeux [...] les portes sont disjointes et ne tiennent presque jamais fermées. Quant aux vitres des voitures, elles ne sont jamais lavées, la Compagnie comptant sur la complaisance du temps qui, à Rennes, est généralement pluvieux, pour accomplir cette besogne.
Le drame survient en 1952, quant le cœur du tram rennais cesse de battre pour laisser la place aux bus. Ces derniers sillonnent la ville depuis 1933, offrant un service complémentaire au tramway. Depuis 1936, les Rennais peuvent même se rendre au théâtre et au cinéma en autobus. Le centre du réseau se situe déjà place de la République, d’où décollent les magnifiques bus Citroën et Latil à gazogène. Serge Gainsbourg ne chante pas encore Le poinçonneur des lilas, mais les premiers oblitérateurs automatiques fleurissent déjà dans les transports rennais. Au carrefour de la technologie, de l’urbanisme et du vivre ensemble, les transports en commun rennais racontent la vie quotidienne dans la capitale de Bretagne, et ne vont pas cesser d’évoluer jusqu’à aujourd’hui.
Petite parenthèse à l’attention des amateurs de train volant : l’aéroport de Rennes Saint-Jacques est baptisé en juillet 1933, en présence du ministre de l’air Pierre Cot. Fin de la parenthèse.
En 1952, des bus nouvelle génération remplacent définitivement le tramway. La compagnie des Transports Urbains Rennais développe le réseau de lignes, qui dessert désormais certains quartiers jusqu’alors délaissés : la rue de Nantes, Sainte-Thérèse, puis, avec l’exode rural d’après-guerre, Cleunay, les Champs-Manceaux, Villejean et la Zup Sud. En mars 1972, les Transports Urbains Rennais laissent la place au Service des Transports de l’agglomération rennaise. A STAR is born, et à partir de 1975, la tarification des voyages par section est remplacée par le ticket horaire.

Par la suite, les nouvelles lignes et les innovations se succèdent. Chartres-de-Bretagne est desservie à partir de 1973, Saint-Grégoire et Chantepie un an plus tard… Le STAR tisse sa toile, et les passagers peuvent désormais actionner les portes par simple bouton pressoir. Magique ! Le STAR teste par ailleurs un appareil de vente de tickets embarqués, mais l’essai n’est pas concluant.
Les années 1970 voient également l’apparition des couloirs de bus et des premiers autocars articulés, sans oublier le service de nuit qui permet aux étudiants de Villejean de rejoindre le campus depuis la gare, le dimanche soir. La population rennaise ne cesse d’augmenter, raison pour laquelle est créé le Syndicat intercommunal des transports en commun de l’agglomération rennaise. À partir de 1982, Rennes district propose 13 nouvelles lignes à tarification unique.
Ligne de démarcation entre la campagne et la ville, la rocade fait le tour de Rennes depuis juin 1999, avec l’achèvement du dernier tronçon. Commencée en 1968, la boucle est désormais bouclée, la voiture est reine, mais pour combien de temps encore ?
MÉTRO, BOULOT, ET QUELQUES BOBOS
Commencée sur des rails, notre histoire nous ramène à la gare de Rennes en 1992, quand l’architecte Le Berre imagine son réaménagement, pour la mise en service du TGV Atlantique. En ligne de mire également, la réconciliation du nord de la ville, économiquement actif, et de son sud, plutôt résidentiel. Située à l’actuel emplacement des Champs Libres, la gare routière se déplace de quelques mètres pour venir s’accoler à la gare. Nous sommes en 1995, et le projet du futur métro anime déjà les profondeurs de la ville.
L’an 2000 approche à grands pas, et si les transports collectifs sont toujours rois, le réchauffement climatique conduit les services de la ville à promouvoir les modes de déplacement doux, fussent-t-ils individuels. Un dispositif de location de vélos est mis en place. Le 6 juin 1998, les Smartbikes débarquent et sillonnent la ville au gré de 25 stations, 24h/24 et 7j/7. Pour pouvoir accéder au service géré par Clear Channel, les Rennais doivent au préalable se procurer une carte à puce délivrée gratuitement. La société Keolis prend le relai en juin 2009 avec le « Vélo STAR », récemment renommé « STAR, le vélo ». 1285 deux roues sont dès lors répartis dans 81 stations. Sésame orange très connu des voyageurs, la carte KorriGo fait enfin son coming out en septembre 2009.

Métro, boulot, dodo. Le célèbre slogan ne concerne toujours pas les habitants de la capitale de Bretagne, mais l’idée d’un service de transport en commun en site propre occupe les pensées depuis la fin des années 1980.
Faut-il un métro VAL comme à Lille, un tramway comme à Nantes, ou un Megabus comme à Bordeaux ?
Le cruel dilemme agite le conseil municipal du 25 octobre 1989. Les débats sont houleux, les écologistes menés par Yves Cochet jugent notamment le projet pharaonique. L’idée d’un métro en site propre sera malgré tout entérinée après 8 longues heures de discussion. En 1992, un sondage indique que 54 % des Rennais sont toujours contre le métro, et en 1995, les élections ressemblent à un référendum pour ou contre ce mode de transport. Louons son entêtement, l’avenir donnera raison au maire socialiste de l’époque, Edmond Hervé.

C’est donc décidé, le métro traversera la ville suivant une diagonale nord-ouest / sud-est, entre Villejean et la Poterie. Les travaux s’étalent entre le 6 janvier 1997 et le 16 mars 2002, jour de son inauguration.
Auparavant, il aura fallu transporter le tunnelier, monstre de 573 tonnes, entre Saint-Nazaire et Rennes. Armé de son disque de coupe de 8 mètres de diamètres, celui-ci engloutira 500 mètres cubes de terre par jour et nécessitera l’attention permanente de 17 personnes. Cela lui vaudra le surnom très breton de Perceval. Si sa prouesse n’égale pas les exploits de la légende arthurienne, le tour de force n’en demeure pas moins impressionnant. Mais tout cela ne se fera pas sans mal : neuf effondrements sont recensés entre 1998 et 1999, car le sous-sol rennais est un gruyère, dû essentiellement à la proximité de l’ancien lit de la Vilaine, et aux cratères provoqués par les bombes de la seconde guerre mondiale.
Cela n’empêchera pas l’underground rennais de transporter les rennais, chaque jour entre 5h30 et 0h30, à une vitesse moyenne de 32 kilomètres/heure.
Le succès du métro rennais dépasse toutes les espérances. On prévoyait 73 000 voyages quotidiens, ce sera presque le double. À partir de 2012, la fréquence des rames augmente. Les Rennais ont désormais rendez-vous avec leur moyen de transport préféré toutes les 90 secondes. Si Rennes est la plus petite ville du monde à posséder un métro, le progrès pour les habitants de la cité est donc très, très grand.
Face à la popularité de la ligne a, le tracé d’une deuxième ligne est étudié à partir de 2007. Soient 14 kilomètres reliant le nord-est au sud-ouest, des Longs Champs à Cleunay. Le métro s’arrêtera à quinze stations et assurera la correspondance avec la ligne a aux arrêts Sainte-Anne et Gare.
La pandémie et des problèmes techniques vont retarder l’inauguration prévue en 2018. La mise en service de la ligne b est finalement effective le 20 septembre 2022.
Pendant ce temps-là, la LGV met Paris à 1h27 de Rennes à partir de 2017, soit un gain de 37 minutes. Est-ce un progrès ? Pas forcément, à en croire l’ancien maire Edmond Hervé qui se souvient que nombre de décisions importantes furent prises au cours de ces longues réunions improvisées entre élus et décideurs économiques, dans le Rennes-Paris du matin. Quoiqu’il en soit, la LGV raccourcit les distances. Lyon est désormais à 3h50, Lille à 3h20, et Bruxelles à 4h.
La gare est bien sûre réaménagée, et avec elle un quartier d’affaires baptisé Eurorennes, sort de terre. Rennes a désormais tout d’une grande ville, et le monde s’en aperçoit.

Effet notable de la mise en service de la ligne B, le désengorgement de la place de la République, avec 22% de trafic en moins. Au total, 1 million de kilomètres effectués par les bus sont économisés et reportés sur les stations de métro.
On n’arrête pas le progrès et, à partir de 2030, les bus rennais rouleront 100 % électrique ou gaz naturel. Rennes sera dès lors la toute première ville à disposer de la version articulée des Bluebus construits par le groupe Bolloré.
Ce récit ne vous a pas transporté ? Même si l’on vous dit que le réseau de transports en communs rennais en 2021, c’est 70 millions de voyages par an ? Si il est pharaonique, le réseau rennais se révèle au final plus utile que les pyramides d’Egypte, et l’on ne regrettera pas que le projet ne fut pas enterré, un soir d’octobre 1989.