Si le dernier tisserand y a brûlé son métier de désespoir, au début du 20e siècle, le passé se devine encore en filigrane dans les rues de Bécherel, dont la culture du lin et du chanvre a construit la prospérité, entre le 16e et le 18e siècle. Tirons sur le fil de l’histoire, à une époque où la toile de Bretagne n’avait rien à envier à celle de Bruges.
Bienvenue à Bécherel, petite cité perchée sur son éperon de granit, à cent-soixante-quinze mètres de hauteur. De là, la vue est imprenable. Sur l’histoire, notamment. Quand, au début du 16e siècle, les champs de lin transformaient la nature environnante en océan de bleu.
Riche de cette abondante production de textile, la commune deviendra une place commerciale, haut-lieu de marchés et de foires très prisées. Le ballet quotidien des métiers à tisser rythmera son quotidien pendant deux siècles, jusqu’à son extinction, dans le courant du 19e siècle.
Mais revenons au présent, derrière ces remparts protecteurs qui rassuraient tant les marchands de toile venant faire leurs emplettes à Bécherel et alentours.
Notre fil rouge nous emmène d’abord dans les rues de la Chanvrerie et de la Filanderie. Celles-ci témoignent de l’intense activité de tissage de la cité, à une époque où le lin y était réputé comme le plus beau et le meilleur de Bretagne.
La plus belle toile de Bretagne
Destinées principalement à un usage militaire, les toiles fabriquées étaient expédiées à Paris, Rouen, quand elles n’étaient pas exportées en Angleterre ou en Espagne. Lieu de production et de fabrication, Bécherel va ainsi se retrouver au centre d’un vaste réseau d’échange mondial.
Construites en pierres de taille, les demeures bordant les deux rues appartenaient probablement aux marchands, tandis que les ateliers et les maisons de tisserands étaient relégués au fond de la cour.
Avec sa façade en pans de bois et ses motifs appelés brins de fougères, la maison de la Filanderie ne manque pas d’attirer le regard. Cette ancienne propriété d’un négociant en toile du 16e siècle était notamment dotée d’un porche permettant d’effectuer les échanges à couvert, en direct avec la rue.
Situé en contrebas du centre bourg, le lavoir de la Couaille nous invite lui aussi à plonger dans l’histoire : il fut aménagé au 19e siècle, en remplacement du lavoir de Doué du Pont, utilisé pour blanchir le lin cultivé aux alentours.
Poursuivant le long du chemin de la Couaille, notre promenade au temps jadis nous emmène au bien nommé étang de la Teinture. Les tisserands venaient jadis y tremper le lin et le chanvre pour séparer les brins.
Si la bobine de l’histoire se déroule dans les rues de Bécherel, ses fils se prolongent également dans les communes environnantes. À Saint-Brieuc-des-Iffs, haut lieu de la culture du lin et du chanvre. À la Chapelle-Chaussée, place forte du commerce des draps. À Cardroc, village de tisserands… Là, on recense encore 160 tisserands et 121 métiers à tisser en 1852. La production annuelle de la commune était en outre de 42 100 mètres de toile de lin pour un total de 21 340 kilos.
L’âge d’or du fil de Rennes
Du pays de Bécherel à Rennes, il n’y a qu’un pas, et la capitale de Bretagne ne restera pas sourde au boom du textile. Elle construira même sa renommée avec le « fil de Rennes », qui traversera l’océan atlantique pour inonder le continent américain.
Le fil de Rennes ? Les archives évoquent une fibre écrue de trois qualités, teinte dans les fabriques de Rennes et blanchie dans celles de Paimpont. Il s’agit dans tous les cas d’une affaire qui marche, à l’image de la trajectoire de la maison Peluet. Passée du monde de la tannerie et du commerce de morues à celui de la teinturerie, celle-ci va rapidement faire fortune. Son activité de fabricant de fil, noir, bleu ou blanc, se transmettra de père en fils pendant plusieurs générations.
La capitale de Bretagne fut avec Rouen et Lille une des rares villes à donner son nom à un fil. Si Nîmes a donné une célèbre toile (Denim, le jean), Rennes a donc accouché d’un fil à la réputation pour le moins solide.
Un constat partagé par le philosophe des Lumières Denis Diderot dans son Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers : « Les fils les plus connus sont ceux de Flandres ; les fils de Malines, d'Anvers & de Hollande ; on parle encore du fil de Rennes, de celui de Cologne, qui se file à Morlaix, & des fils de Normandie. »
L’histoire s’est donc arrêtée à Cardroc, dans le pays de Bécherel, au lendemain de la première guerre mondiale. Le dernier tisserand y a brûlé son métier sur la place du village. « Il parait que c’était très beau, raconte son arrière-petite-fille. C’était triste mais c’était très beau… Avant, tous les champs du Pays étaient ensemencés de lin et de chanvre. Mon arrière-grand-père me racontait qu’à la mi-juin, ceux-ci avaient la couleur du ciel. »
Si celui-ci est bleu, prenez le temps de suivre le sentier jusqu’au château de Montmuran pour une dernière halte. Là au 13e siècle, Béatrice de Matz est venue de sa Flandre natale et avec elle des tisserands de Bruges transportant dans leurs bagages la culture du lin et l’art du tissage. L’eau de la vallée et les fertiles sédiments de la mer de Faluns ont fait le reste.
Au fait, le saviez-vous ? Outre les chants de la bergeronnette et du coucou qui donnaient le signal pour semer le lin, les anciens avaient un truc infaillible pour savoir quand planter la petite graine. À l’automne, ils se rendaient au champ, baissaient leur pantalon et s’asseyaient cul nu dans la terre. A posteriori, et pour filer la métaphore, cela s’appelle prendre la température. Une manière idéale de refermer le chapitre consacré à la fièvre du textile en pays de Bécherel.
Merci à l’association Lin & chanvre en Bretagne, à Simon Gaucher et l’École Parallèle imaginaire
Un récit de Jean-Baptiste Gandon
À faire
• Visiter le musée du lin et du chanvre à Cardroc.
• Tester le sentier Chanvre et lin pour tous : Quatre circuits pédestres accessibles aux personnes en fauteuil et aux aveugles. Au départ de La Chapelle-Chaussée, Cardroc, les Iffs et Saint-Brieuc-des-Iffs, accompagnés de carnets de routes ou d'audioguides afin de valoriser le patrimoine rural.
Maison du livre de Bécherel : 02 99 66 65 65