De l’invention de blocs opératoires mobiles sur le front de 1914-1918, à la création du centre qui porte son nom en 1924, la personnalité d’Eugène Marquis est indissociable de l’histoire médicale rennaise et de la lutte contre le cancer. Au point même, parfois, de la devancer.
Quand Eugène Marquis voit le jour, en 1879, dans une famille de médecins de Bécherel, le cancer demeure un illustre inconnu, sournois et insaisissable. Si la maladie existe depuis longtemps et terrifie déjà la population, son traitement relève encore de la chirurgie, et son issue se révèle fatale dans la plupart des cas.
« La découverte de la radioactivité naturelle (radium), puis artificielle (cobalt), va ouvrir de nouvelles perspectives à la lutte contre le cancer, note Patrick Bourguet, spécialiste de médecine nucléaire et directeur du centre Eugène Marquis (CEM), de 2000 à 2010. Celle-ci va alors se développer en suivant deux axes : la chirurgie et la radiothérapie. »
Mais, avant que les bombes au cobalt ne permettent de traiter les tumeurs en profondeur, dans les années 1950, et avant l’apparition de la chimiothérapie dans les années 1970, la lutte contre le cancer ressemble désespérément à un combat entre David et Goliath.
Un homme en avance sur son temps
Eugène Marquis n’hésitera pas à prendre le maquis. D’abord dans les tranchées de 1914-18, où le chirurgien se distingue déjà en imaginant des blocs opératoires mobiles, pour traiter en urgence les blessés non transportables. La rumeur raconte que son coup de bistouri est d’une telle précision que les blessés soignés par lui se reconnaissent à la perfection de leurs cicatrices.
« Il reviendra de la guerre avec l’idée de normaliser l’activité chirurgicale et la conviction que le rôle des infirmières est primordial, notamment sur le plan de l’hygiène. Il créera d’ailleurs la première école d’infirmières, en 1938. »
Le prolifique auteur d’articles sur l’asepsie, est également très préoccupé par le cancer. L’ancien étudiant rennais est devenu chirurgien, chef de clinique et professeur de chirurgie. Il crée en 1923 l’association de la Ligue de l’Ouest et un centre anticancer dans les locaux de l’hôpital. Installé dans le pavillon Clemenceau des hospices de Pontchaillou, celui-ci est alors équipé de deux installations radio pénétrantes, d’un service de chirurgie et de deux salles d’hospitalisation d’une vingtaine de lits.
« Imaginez des patients alités dans une salle commune, pour certains traités au radium avec de simples aiguilles. Ce n’était pas la panacée, surtout au niveau des règles de radio protection. Il y aura des salles communes jusqu’à la fin des années 1970 », note un Patrick Bourguet pour le moins songeur.
Nous sommes encore dans la préhistoire de la lutte contre le cancer, mais Eugène Marquis va lui faire faire un pas de diplodocus.
En 1930, alors que l’on suspecte le cancer d’être contagieux et héréditaire, le chirurgien rennais entreprend de mener une étude auprès de 2500 patients, et en conclut que celle-ci ne se transmet pas. Eugène Marquis a également déjà compris l’importance d’anticiper dans cette grande course contre la mort, et les premières campagnes de prévention sont lancées.
La vie sans Eugène Marquis
À partir de 1936, le CEM dispose de son propre bâtiment. En 1945, il rejoint le réseau des Centres de lutte contre le cancer, et devient un établissement de santé privé à but non lucratif, participant au service public.
En 1947, quand il raccroche sa blouse, Eugène Marquis a déjà transmis son énergie contagieuse à ses successeurs.
L’ouverture d’un département de médecine nucléaire et la première bombe au cobalt en 1958, marquent une nouvelle ère dans la lutte contre le cancer, en permettant d’irradier des tumeurs profondes. « À l’époque, on irradiait la tumeur, mais aussi les tissus voisins. Aujourd’hui, nous pouvons réguler la forme et l’intensité du faisceau. »
Création d’un service de recherche expérimentale (1966) ; acquisition du premier accélérateur circulaire de l’Ouest en radiothérapie (1968) ; inauguration du nouveau bâtiment d’hospitalisation (1982)… S’il s’illustre dans le domaine de la recherche et de la performance technologique, le centre Eugène Marquis pose également des jalons organisationnels, considérés comme des référentiels par la suite : les Standards Options Recommandations (SOR) et les Réunions de Concertation Pluridisciplinaire (RCP) sont ainsi mis en place en 1993.
Le 1er TEP scan de France
Si la personnalité d’Eugène Marquis est indissociable de l’histoire du centre éponyme, ses successeurs à la tête du de l’établissement de santé n’ont eu d’autre ambition que de garder cette longueur d’avance dans la lutte contre le cancer.
Ainsi de l’acquisition en 1999, d’un cyclotron et d’une caméra TEPscan (la 1ère à usage médical en France) : une technique d’imagerie fonctionnelle utilisant un glucose radioactif comme traceur permettant de rendre visibles les cellules tumorales.
L’année d’avant, le CEM, le CHU de Rennes et la Clinique mutualiste de La Sagesse ont mutualisé leurs moyens et créé l’Institut Régional de Cancérologie de Rennes.
De la mise en place d’un département de soins de support, en 2008, à l’acquisition du 1er Cyberknife de l’Ouest – une machine révolutionnaire permettant le traitement des cancers d’accès difficile – en 2014, le Centre Eugène Marquis ne cessera par la suite de montrer sa grande capacité d’adaptation, et continuera de lutter contre cette maladie du système immunitaire. Une combat sans rémission, bien entendu.
Plus d'information sur le site du centre Eugène Marquis