Miossec : "J'ai l'habitude de chambrer les Rennais pendant mes concerts"
Après plus de vingt ans d’abstinence, Miossec aurait du rejouer "Boire", son album phare, sur les planches du TNB. Des muses rennaises qui l'ont inspirées à son dernier album baptisé "Falaises", le chanteur brestois avait accepté de se livrer, un peu, avec pudeur. Ne boudons pas notre plaisir de partager quelques vers avec lui pour Noël !
Vingt-cinq ans déjà. Toute une jeunesse, dirons-nous ! C’était en 1995, un inconnu Brestois dynamitait le pré trop carré de la chanson française et nous invitait à découvrir "Boire".
Une bouteille à l’amer, brute et désespérée. Un album breton, acoustique et punk, devenu aussi culte que les cargos du port finistérien. L'ivresse musicale et les inoubliables moments de plaisir dureront trois ans, pendant lesquels Miossec écumera les scènes et les comptoirs, les rades de Brest et les bistrots Rennais.
Désormais sobre, et dix albums plus loin, le poète fragile revient sur son album culte sur scène, sans crainte de replonger dans sa jeunesse, ce qu’il n’avait pas fait depuis 1998. Nous lui avons tiré les verres du nez.
Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de reprendre les chansons de "Boire" sur scène ?
Je ne voulais pas être l’homme d’un seul album, même si c’est ce que je suis, en fait (rires, ndlr). Se répéter, ça peut devenir glauque.
Pias, mon label, voulait faire cette tournée anniversaire pour les 20 ans de l’album, mais je ne me sentais pas prêt. Depuis, j’ai quasiment enchaîné quatre disques coup sur coup, je me suis dit que le moment était plus propice pour faire une pause.
Cela me fait beaucoup de bien de reprendre les morceaux de « Boire », je me rends compte qu’elles sont gravées en moi. La musique est beaucoup basée sur l’oubli, et je me dis que si j’ai réussi à faire quelque chose qui peut déboucher sur un anniversaire, ce n'est déjà pas si mal.
Vous souvenez-vous de votre état d’esprit à l’époque ? Vous êtes d’ailleurs assez pudique, sur votre rapport à l’alcool…
J’ai pris plaisir à avoir une vie avec, comme je prends plaisir à avoir une vie sans. Au final, j’aime bien les contraintes (rires, ndlr). Je me sens plutôt chanceux, en fait, notamment d’avoir réussi à décrocher.
Je me souviens que j’ai bu mon dernier verre un jour d'avril, et que je comptais les jours avant même d’arrêter. Par contre, était-ce il y a 8, 9 ans ? J’avoue que j’ai oublié !
L’enregistrement de « Boire » était assez brut, frais, un peu punk… Avez-vous changé des choses ?
J’ai voulu le laisser dans son jus, dans le format minimaliste à deux guitares, sans batterie.
En tournée (quand les concerts ne sont pas annulés), nous jouons mon dernier album, « Falaises » après cette première partie, avant de finir par un pot pourri. C'est un peu un pot pourri de l’amitié (rires, ndlr).
Depuis 25 ans, je ne suis plus la même personne dans le métier. J’ai appris et perdu des choses. Pourtant, j’ai l’impression que c’était hier. Ces chansons sont imprimées en moi, elles remuent mon corps, autant que ma tête.
Dans la série de vos concerts rennais, quel est votre meilleur souvenir ?
Sans hésiter, celui avec Printemps Noir, aux TransMusicales, en 1982. Je me souviens qu’il y avait un groupe de Nancy après nous, Dick Tracy je crois. J’avais 17 ans, le monde n’est pas pareil à cet âge. J’avoue que je ne me voyais pas faire carrière là-dedans, je ne me trouvais pas assez doué.
Avec les disparitions de Dominique Sonic et Philippe Pascal, Rennes est orpheline de ses rockers…
(L’émotion de Miossec est palpable) Ils représentent toute ma jeunesse… Le concert de Marquis de Sade à Brest, au début des années 1980, reste un de mes meilleurs concerts en tant que spectateur. Philippe (Pascal) a beaucoup compté pour moi, il a été une source d'inspiration essentielle. Quand à Dominique (Sonic), je l’ai connu au moment des Kalashnikov. On s’est toujours suivis depuis.
À l’image de "Close West" de Dominique A, avez-vous déjà songé à écrire une chanson sur Rennes ?
J’ai l’habitude de chambrer les Rennais pendant mes concerts, mais c’est de l’humour, j’aime énormément cette ville. J’ai passé beaucoup de temps ici, l’Ubu et les TransMusicales ont fait mon éducation musicale, m’ont donné mes plus beaux souvenirs. À l’époque, Rennes, c’était 80 concerts pas semaine. Quant aux Trans, ça partait toujours dans tous les sens. À l’Ubu, j’ai par exemple pris une claque avec Bruce Joyner. Je me souviens que j’ai habité sur le mail François-Mitterrand. Récemment, j’ai été triste d’apprendre la fermeture prochaine du Mondo Bizarro. Cela me ramène à un autre troquet, les Tontons Flingueurs, où j’avais joué dans le cadre d’une émission sur radio Canal B. À propos de Dominique Ané, je conseille vivement son magnifique livre hommage à Philippe Pascal !
Déjà 11 albums ! Ça fait quoi de faire partie du patrimoine ?
Cela me renvoie à la vitesse foudroyante de la vie. Je ne m’étais pas rendu compte que j’avais fait autant d’efforts (rires, ndlr)
Vous avez intitulé vos derniers albums « Les rescapés », « Falaises »… Vous vous rapprochez dangereusement du gouffre !
Oui, le prochain s’appellera « Dans le trou » (rires). Plus sérieusement, le monde est mouvant, on navigue à vue, sous la ligne de flottaison. Notre époque est très maritime, de même qu’elle n’est pas très propice aux pronostics.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Gandon