Le 10 mai est la « Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition ». L’occasion de se retourner sur les pratiques passées, pas si lointaines, où tous les humains n'étaient pas considérés comme égaux. Et de se souvenir que la capitale de Bretagne accueillit, elle aussi, un zoo humain, place Hoche, en 1929 et en 1932.

Vendredi 3 mai 1929, à Rennes. Le soleil brille dans la capitale de Bretagne. La traditionnelle Foire exposition bat son plein, et les Rennais sont de sortie dans cette ville fleurant bon le printemps.

Délaissant les machines agricoles du Champ de Mars et snobant les marchands de tapis du boulevard de la Liberté, 2 300 badauds vont pourtant se laisser happer par la curiosité en se rendant place Hoche. Le clou du spectacle ? Un « village nègre » y met en scène l’infériorité supposée de cette race, à l'heure où plusieurs pays d'Europe dictent leur loi au reste du monde. En plein époque coloniale, ce type d’attraction est à la mode et le public plus que jamais friand de ces êtres étranges ou étrangers, montrés comme des animaux.

Peu importe que ces « acteurs » exhibés lors de cette exposition coloniale ne sont pas reconnus comme Soudanais ou Sénégalais, ils sont simplement "des noirs". Et ces grands enfants peuvent s’estimer heureux que la France coloniale exerce sur eux sa « mission civilisatrice ».

 

Des visites réservées aux scolaires

 

Pâle copie d’un village traditionnel africain, les huttes en paille dressées sur la place Hoche sont un miroir de cette supériorité considérée comme naturelle. Hommes, femmes, enfants… Les figurants sont donc là, le regard perdu dans un océan d’incompréhension, parqués dans des conditions insalubres. Ils exécutent une danse, entament un rituel religieux… Le journal L’Ouest-Éclair préfère quant à lui se focaliser sur ces « dents blanches », ces « menottes crasseuses » et ses « cheveux si bizarrement tondus ». Le quotidien ajoute : «  Les visiteurs se pressent, curieux, autour du kiosque où, sur un rythme étrange, scandé par de bizarres tambours, se trémoussent les négresses ».

 

En attendant que Tarzan prenne le relai sur les écrans de télévision, les Rennais se font leur cinéma et, ravis par le spectacle, finissent par lâcher quelques piécettes.

L’Ouest-Éclair confirme le tableau : « Les visiteurs s’arrêtent aussi ébahis, devant ces femmes qui portent leurs bébés sur le dos, devant tous ces Noirs qui, impassibles, les regardent défiler en mâchant un bout de bois de gommier. Cet embryon d’exposition coloniale, ce tableautin de vie soudanaise retiendra encore de nombreux passants par son pittoresque et par les originales attractions qu’il annonce. »

 

Des visites sont même réservées aux scolaires, preuve qu’il n’est jamais trop tôt pour imprimer dans les esprits le manuel du bon colon et les mécanismes de la pensée raciste.

Alors qu’un rideau de pluie tombe sur la scène, les figurants se retrouvent à patauger dans la boue, pieds nus.

L’Ouest-Éclair relate encore : « Les ondées transpercèrent le chaume qui abrite les couvertures où dorment les nègres. Ceux-ci n’en perdirent pourtant point leur sourire. Tout le jour, ils montrèrent leurs dents si blanches aux visiteurs, tout heureux quand de gros sous tombaient dans leur sébile. Et les marmots qui s’accrochent aux passants en tendant leurs menottes crasseuses - ‘Un sou moussier, pour chercher bonbon’ – ne s’inquiétèrent guère non plus de la pluie. »

 

La dernière exposition coloniale s'est tenue à Bruxelles, en 1958.
La dernière exposition coloniale s'est tenue à Bruxelles, en 1958. (Luc Monnerais)

En 1905, les Rennais avaient déjà eu l’occasion de tourner autour d’Indiens d’Amérique comme un curieux totem, à l’occasion de la venue du cow-boy Buffalo Bill et de sa célèbre revue.

Plutôt que de chercher à apprendre de ces cultures différentes, il s’agit d’amuser la galerie.

Le mythe du « bon sauvage » primitif et heureux avait de beaux jours devant lui. En pleine crise, la France mise à fond sur son empire colonial et n’hésite pas à faire preuve d’amnésie.

 

35 000 forçats de la figuration

 

Dans les tranchées de 1914-18, les soldats français ont en effet eu l’occasion de combattre aux côtés de camarades indigènes. Pour les Poilus, l’être humain n’a qu’une seule couleur, celle de la boue. Et nombre d’entre eux n’oublieront pas leurs frères d’armes. Scandalisé par le triste spectacle de la place Hoche, l’un d’eux écrit à L’Ouest-Éclair : « J’ai honte de voir ces gens, exposés non pas à l’admiration, mais aux quolibets d’une foule qui ne les comprend pas, ravalés au rang de bêtes curieuses ! »

 

Las, les expositions coloniales vont continuer longtemps de sillonner la France, comme de simples spectacles itinérants donnés par des troupes de théâtre.

Peu importe que le Japon aie tenté en 1919, de faire accepter le principe de l’égalité des races lors de la Conférence de Paris.

Et peu importe que « l’égalité de tous les êtres humains » ait été gravée dans le marbre de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948.

Le triste manège des expositions coloniales continuera de tourner jusqu’en 1958, où 598 Congolais (dont 197 enfants) sont exhibés, à Bruxelles.

 

En ce 3 mai 1929, 2 300 badauds se presseront pour observer les "figurants"  d'un village africain.
En ce 3 mai 1929, 2 300 badauds se presseront pour observer les "figurants" d'un village africain. (Luc Monnerais)

De la Vénus Hottentote, cette femme au physique atypique devenue le symbole de la domination coloniale, en 1810, à la Seconde Guerre Mondiale, le business de l’exhibition a fasciné plus d’un 1,4 milliard de voyeurs et exploité quelques 35 000 forçats de la figuration dans le monde.

Qui étaient tous ces êtres ainsi exhibés ? Quel était leur nom ? Personne ne s’en souciera jamais. Ils resteront les figurants anonymes de ces zoos de la honte.

Comble de l’ironie pour les Rennais, les expositions françaises mettront également en scène des villages bretons et les représentants arriérés d’une région à moderniser de toute urgence !

 

Sources : Erwan Le Gall / En Arvor ; Wikipedia ; L’Ouest-Éclair


 

Jean-Baptiste Gandon

 

Le 10 mai : Journée nationale des mémoires de l'esclavage

 

Le 10 mai aura lieu la « journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition ». Rappelons que l’esclavage a été aboli en France le 27 avril 1848 et que notre pays demeure le seul état qui, à ce jour, ait déclaré la traite négrière et l’esclavage « crime contre l’humanité ».   

 

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