Avec ses 2 500 coquettes pensionnaires, la roseraie est un des pôles d’attraction du célèbre parc du Thabor. Éclose au début des années 1920, son histoire nous raconte le rôle des femmes et les ricochets de la guerre, mais aussi la place centrale des obtenteurs, ces magiciens à l’origine de tous ces splendides spécimens. Voici la Rennes des roses, un récit richement parfumé et haut en couleurs. 

Elles s’appellent Catherine Deneuve ou Charles Aznavour. Environ 2 500 stars , composant un parterre rouge, rose, blanc, orange, mauve ou jaune, à faire pâlir de jalousie les invités du festival de Cannes. Des fleurs aux proportions parfaites. Pas de marches à gravir pour les photographier, mais un sentier à descendre, tandis que se dessinent à l’horizon les tuiles rouges du lycée Saint-Vincent.

L'originalité de la roseraie du Thabor réside dans son carré des nouveautés et son espace dédié aux roses anciennes.
L'originalité de la roseraie du Thabor réside dans son carré des nouveautés et son espace dédié aux roses anciennes. (JBG)

Nous sommes au mois de juin et les rosiers grimpent sur les murs dans une folle farandole florale. À quelques mètres de là, le carré des nouveautés accueille les créations qui iront plus tard rejoindre le cercle des pensionnaires définitivement admises. Guère plus loin, un espace dédié aux roses anciennes nous rappelle que les premières lignes de ce roman de la rose furent écrites il y a très, très longtemps. Ce décor de carte postale semble figé dans l’éternité. Pourtant, l’histoire de la roseraie du Thabor a commencé à l’aube des années 1920.

Sur les pas des frères Bülher

Replantons le décor du célèbre parc aménagé en 1868, sous le Second Empire, par les frères Bühler
De son parc paysager à son jardin à la française en passant par son espace botanique, l’histoire de cet écrin de verdure cher au cœur des Rennais semble connue sur le bout des doigts. Pourtant, les recherches sur le Thabor resteront longtemps en jachère. Il faudra attendre les années 1990 et les travaux de l’historien fougerais Louis-Michel Nourry, pour mieux faire connaissance avec ce parc.

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C’est en découvrant un vieux rouleau oublié dans une armoire poussiéreuse des services municipaux que le spécialiste des jardins publics en France a commencé à tirer sur les fils de l’histoire. Il venait de mettre la main sur le plan original du Thabor réalisé par Denis Bühler.

Parc et jardin des plantes de la Ville de Rennes, dessinés par Bühler, 1867.
Parc et jardin des plantes de la Ville de Rennes, dessinés par Bühler, 1867. (Archives de Rennes)

Des tableaux sans fleurs

Introduit par l’imprimeur François-Charles Oberthür, dont il avait aménagé le parc privé, le plus renommé des paysagistes français avait été mandaté par la ville pour aménager le parc du Thabor, sur les anciennes terres de l’abbaye Saint-Melaine.
Avec ses arbres exotiques savamment plantés, chaque espace du Thabor a été pensé comme un tableau. Pourtant, l’on ne vient pas ici pour admirer le paysage, l’architecture du parc ou son jardin, mais pour soigner son image. La plupart du temps rentiers et ne sachant que faire de leur temps libre, les notables rennais viennent arpenter les allées du parc pour voir et être vus. Avec le théâtre, le jardin public est l’autre lieu de la mise en scène du prestige bourgeois.

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Nous sommes à la fin du XIXe siècle, en pleine vogue hygiéniste. Le parc du Thabor ne possède pas encore de roseraie, mais un immense jardin botanique copié sur le modèle du Jardin des Plantes de Paris, et reprenant la célèbre classification de De Candolle. Plus de trois mille espèces acclimatées s’y côtoient, mais le paradis demeure uniformément vert.

Nées de la guerre

Comment la première rose du Thabor a-t-elle alors éclose ? C’est un paradoxe, mais ce symbole d’amour est, d’une certaine manière, né de la guerre 1914-1918. Partis la fleur au fusil, des milliers d’hommes ne reviendront pas du Chemin des Dames. Leurs femmes et leurs filles vont alors prendre le relai, dans les usines textiles, ou sur les chaînes de la manufacture d’armes de l’Arsenal.

La roseraie offre une vue italienne sur les tuiles rouges du lycée Saint-Vincent.
La roseraie offre une vue italienne sur les tuiles rouges du lycée Saint-Vincent. (JBG)

En repos le dimanche, ces ouvrières qui arrivent des quatre coins de la campagne rennaise en profitent pour parcourir la capitale bretonne. Plutôt que d’arpenter les rues de la ville, où les boutiques sont encore rares, elles se rendent au Thabor pour se promener au grand air.
Nos munitionnettes constatent rapidement que le tableau, bien qu’idyllique, manque autant d’odeurs que de couleurs. On écrit alors au maire pour exprimer ses doléances et exprimer son désir de fleurissement. Le manque de fleurs fait débat, au point d’être inscrit à l’ordre du jour d’un conseil municipal de 1922. De leur côté, les jeunes bourgeois sont conquis par le charme des roseraies visitées au cours de leurs voyages d’agrément.

Pour une simple promenade, ou pour faire le plein des sens olfactifs, la roseraie du Thabor est un des lieux les plus prisés par ses nombreux visiteurs.
Pour une simple promenade, ou pour faire le plein des sens olfactifs, la roseraie du Thabor est un des lieux les plus prisés par ses nombreux visiteurs. (JBG)

La roseraie du Thabor va sortir de terre quatre ans plus tard, en 1926. La municipalité décide de consacrer un quart du jardin botanique à ce nouveau projet. Mais l’espace est insuffisant et le bourrage floral est la règle jusqu’en 1956, date de la création du carré des nouveautés.
Les Anglais, champions incontestés de l’époque, ont dépêché à Rennes des responsables de la roseraie de Chelsea pour distiller leurs précieux conseils. Désireuse de faire dans la pédagogie, la Direction des jardins de la ville entreprend de mettre en avant le travail des obtenteurs, ces rosiéristes un peu magicien à l’origine des nouvelles variétés, si nombreuses à éclore chaque année. 

La rose doit autant à la main de l'homme qu'au travail de Dame Nature. Les créateurs de rose sont appelés des obtenteurs.
La rose doit autant à la main de l'homme qu'au travail de Dame Nature. Les créateurs de rose sont appelés des obtenteurs. (JBG)

Le carré des créateurs de roses

Parmi eux, les Français Meilland, Delbard et Ève font la loi, mais un Rennais nommé Michel Adam va également tirer son épine du jeu. Couronné par de nombreux prix, l’ancien cheminot va donner à la roseraie du Thabor ses pétales de noblesse et des dizaines de jolis spécimens. Citons le Grand Huit, du nom de l’ancien TNB, et ses éclats écarlates. Fanny Ardant et son rose délicat. Sans oublier bien sûr, la Rose de Rennes, reine des roses éclose en 1992. N’en déplaise à Ève, Adam est donc l’une des mains invisibles à l’origine de ce petit coin de paradis sur Terre.

La plupart des obtentions de l’année font l’objet d’un concours. Les rosiers lauréats sont ensuite mis à l’épreuve du temps et du climat pendant dix ans, avant d’aller rejoindre leurs congénères dans la roseraie circulaire. Chaque variété est scrupuleusement étiquetée, en mentionnant le nom de la rose, son année de création, et bien sûr, le nom de l’obtenteur. La vie de la rose est ainsi faite, et sa destinée tient autant à la main de l’homme qu’au travail de Dame Nature.

Après avoir fait l'objet d'un concours, les roses nouvelles sont mises à l'épreuve pendant dix ans. Elles pourront ensuite rejoindre le cercle des roses du Thabor.
Après avoir fait l'objet d'un concours, les roses nouvelles sont mises à l'épreuve pendant dix ans. Elles pourront ensuite rejoindre le cercle des roses du Thabor. (JBG)

Véritable singularité, le carré des nouveautés va asseoir la popularité de la roseraie du Thabor. À la fin des années 1980, l’espace des roses anciennes parachève le tableau déjà magnifique. Le fruit du long et patient travail fourni chaque année par la Direction des jardins de la Ville de Rennes, en collaboration avec la Société d’horticulture d’Ille et Vilaine. Une occasion en or pour les amateurs de retrouver la mémoire de la rose.

La roseraie du Thabor est un lieu de focalisation, à l’instar de la volière. C’est-à-dire, un endroit où l’on peut se donner rendez-vous. Lieux historiques des promenades hygiéniques, tous les jardins publics français n’en sont pas pourvus.

Louis-Michel Nourry, historien

Pour Louis-Michel Nourry, le Thabor est « un territoire consensuel que les Rennais se sont appropriés au fil du temps. Sous le Second Empire, par exemple, la pelouse du Thabor était interdite. Le parc rennais était un des seuls jardins publics dans ce cas en France, et cette interdiction avait été instituée pour contrôler la bonne tenue des Rennais et des Rennaises. Le règlement du parc regorgeait d’ailleurs du mot ‘interdit’, et les surveillants armés d’un sifflet veillaient au grain. On coupera la poire en deux plus tard, sous le mandat d’Edmond Hervé, et la pelouse sera partiellement ouverte aux visiteurs. »

Un petit carré de roses.
Un petit carré de roses. (JBG)

Les roses de Rennes sont-elles toujours superstars ? La renommée de leur robe haute culture et de leurs parfums raffinés se répandent très loin au-delà des frontières de la capitale de Bretagne. Une petite anecdote résume mieux que n’importe quelle somme, le formidable pouvoir d’attraction de la petite fleur rennaise : l’horaire d’ouverture du Thabor fut à une époque avancée d’une heure, à 7 h 30 o’clock, afin de permettre aux touristes anglais en partance pour les châteaux de la Loire de s’arrêter à mi-chemin. Une pause salutaire pour pouvoir goûter des yeux et des narines la « very famous » roseraie du Thabor.

Les Anglais ont très tôt considéré les jardins publics et les roseraies comme des composantes à part entière du patrimoine. En France, nous en étions récemment encore, à la rose qui pique, et en aucun cas à un objet d’étude historique.

Louis-Michel Nourry, historien

Un manque de flair évident en partie comblé par la roseraie du Thabor et ses milliers de parfums. Reine parmi les roses, la rose de Rennes a vu le jour en 1992, sous les serres du rosiériste Michel Adam, à la demande des élus de la Ville.
Quelles sont les caractéristiques de notre splendide trentenaire ?  C'est une rose de couleur rose, généreuse, et fidèle au rendez-vous de juin. Une manière originale pour la Ville, de faire voyager son nom. En plus de frapper les esprits, elle chatouille les narines et tape dans l’œil de ses visiteurs !

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Deux agents très spéciaux au service de sa majesté

Ils se prénomment Angélique et Didier, deux agents très spéciaux de la Direction des jardins, au service de sa majesté la rose. Toute l’année, ils veillent sur les trésors floraux de la roseraie du Thabor. Si le métier est exigeant, ils n’en changeraient pour rien au monde.

Angélique et Didier veillent chaque jour sur la roseraie.
Angélique et Didier veillent chaque jour sur la roseraie. (JBG)

« Chaque matin, au lever du soleil, nous baignons dans un nuage de parfum de rose, tout le Thabor embaume. » Angélique Bachelot Ménard ne pouvait pas mieux planter le décor. Chaque jour depuis six mois, la jeune jardinière municipale fait en sorte que le paysage de la roseraie du Thabor demeure une toile de maître aux yeux des visiteurs. Elle prendra bientôt seule le relai de Didier Reslou, qui raccrochera sa casquette au vestiaire, après une bonne vingtaine d’années au service de la rose.
Jérôme Hossard, le référent du secteur centre, revient sur les particularités de cet espace si prisé du jardin du Thabor : « le parc du Thabor s’étale sur environ 10 hectares et consiste surtout en une juxtaposition de jardins, avec leur style particulier : à la française, géométrique, rigoureux, et montrant la domination de l’homme sur la nature ; à l’anglaise, pittoresque et picturesque ; sans oublier le Boulingrin, aménagé sur les anciennes terres de l’abbaye Saint-Melaine ».

  • 950 variétés de roses dans la roseraie

  • 2500 rosiers dans la roseraie du Thabor

La roseraie se situe, quant à elle, à côté du jardin botanique, qui possède une double vocation : « c’est à la fois un conservatoire et un dictionnaire végétal, avec une fonction pédagogique évidente. Le jardin botanique, ce sont onze plates-bandes circulaires.  On n'y démarre pas les organismes biologiquement rudimentaires de type algues ou fougères, pour finir par les arbres et les résineux

Alors que l’anneau extérieur du jardin botanique présente plutôt les rosiers dans un esprit de collection, ces derniers pourront être ailleurs plantés en massifs. Et du côté du carré des nouveautés ? « On y recense environ 80 variétés en massifs. Chaque année, on compte environ 10 % de nouveaux venus, et environ autant de partants. »

L’espace n’est pas infini, nous jouons donc avec les volumes et les hauteurs.

Didier Reslou, jardinier municipal
La fameuse Rose de Rennes, sortie de terre il y a 30 ans.
La fameuse Rose de Rennes, sortie de terre il y a 30 ans. (JBG)

Les types de rosiers sont nombreux : « grimpants » sur les murs, « lianes » sur les pergolas, ou « pleureurs » du côté de la pelouse, sans oublier les rosiers de concours et les rosiers anciens. Un ange passe, et le souvenir de l’impératrice Joséphine de Beauharnais se glisse dans la conversation : « c’est la plus grande influenceuse de tous les temps, plaisante Jérôme Hossard. On peut dire qu’elle a lancé la mode des roses. »

Les roses anciennes sont les plus précoces, les plus florifères au départ et les plus parfumées

Didier Reslou

La roseraie du Thabor participe chaque année au Grand Prix de la rose, organisé par la Société nationale d’horticulture de France. « Nous sommes sept villes à y participer (L'Haÿ-les Roses, Nancy, Annecy, Marseille, Montpellier, Bordeaux et Rennes), pose Jérôme Hossard. C’est une manière idéale de voir comment les variétés s’adaptent aux différents climats, aux différentes terres… » Environ 80 rosiers sont jugés sous toutes les coutures, de leur floribondité à leur résistance aux maladies en passant par leur parfum, leur « remontance » (traduisez refleurissement), et bien sûr leur aspect général.

La mission de nos deux agents spéciaux : faire en sorte que la roseraie demeure une toile de maître toute l'année.
La mission de nos deux agents spéciaux : faire en sorte que la roseraie demeure une toile de maître toute l'année. (JBG)

« Je suis arrivé ici un peu par hasard et j’ai tout fait pour y rester », sourit Didier Reslou. Cela ne signifie pas pour autant qu’il marche chaque jour sur un tapis de pétales. Les deux jardiniers autodidactes respectent en effet un calendrier bien réglé, même si les dérèglements climatiques s’en mêlent chaque année un peu plus. « En janvier-février, c’est l’époque de la taille. Pendant six semaines, nous montons sur un échafaudage pour les pieds les plus hauts, ou nous nous baissons au ras les pâquerettes. C’est assez physique », éclaire Angélique.  « Nous profitons de cette période pour renouveler les rosiers morts pendant l’année », ajoute son tuteur Didier. Un rosier a une espérance de vie d’une trentaine d’années. « Nous inaugurerons d’ailleurs en septembre Temps d’un regard, une nouvelle création du célèbre obtenteur local Michel Adam ».

La roseraie du Thabor, ce sont : 950 variétés différentes, pour environ 2 500 pieds.
La roseraie du Thabor, ce sont : 950 variétés différentes, pour environ 2 500 pieds. (JBG)

Voilà mars, ou le temps du bêchage et du « croquetage » (traduisez griffage de la terre). Nos agents spéciaux en profitent pour souffler et ramasser les feuilles mortes. S’ensuit la phase de paillage, « afin de garder l’humidité de la terre et d'empêcher les mauvaises herbes de pousser. » Si la rose est un top modèle, elle se contente en retour de très peu - une terre pas trop riche, un arrosage modéré - et supporte très bien la chaleur.

Nous n’utilisons plus d’apports organiques. Nous avons connu une période de surmortalité parce que le sol de la roseraie était devenu trop riche !

Jérôme Hossard

« Comme nous n’utilisons plus de traitements chimiques non plus, nous ne faisons rien jusqu’au mois de mai », plaisante Didier Reslou avant de corriger : « il y a toujours de quoi s'occuper bien sûr, comme enlever les mauvaises herbes des allées, par exemple. Notre mission est que la roseraie ressemble tout au long de l’année à un magnifique tableau. » En mai, fais donc ce qu’il te plaît, mais surtout, procède au ramassage des fleurs fanées. « Nous passons une fois par semaine, c’est comme ça jusqu’au mois d’octobre. »

Spectacle permanent - « les pieds refleurissent toute l’année jusqu’aux gelées » - avec un pic en juin, la roseraie du Thabor requiert donc une attention de tous les instants. Un message qui semble parfaitement reçu par les nombreux visiteurs : « Angélique et Didier sont les agents du Thabor qui reçoivent le plus de compliments du public », confirme Jérôme Hossard. À propos, on recrute des jardiniers du côté de la Direction des jardins !

Ancienne ou nouvelle, grimpante ou en liane, la roseraie satisfait tous les goûts des visiteurs.
Ancienne ou nouvelle, grimpante ou en liane, la roseraie satisfait tous les goûts des visiteurs. (JBG)

Le paradis selon Michel Adam

Aujourd’hui retraité, Michel Adam a créé des roses pendant près de 50 ans, dont certaines ont fait le tour du monde ou forgé la réputation de la roseraie du Thabor. L’ancien cheminot nous a ouvert les portes de son petit coin de paradis, où il continue de cultiver sa passion. De même que l’enfer est pavé de bonnes intentions, nous apprendrons très vite que la route de l’Éden est jonchée d’échecs : si beaucoup de candidates à l’hybridation se présentent, peu d’élues auront en effet la chance d’être commercialisées et de porter un nom.

Greffe, hybridation... Les roses n'ont plus aucun secret pour le rosiériste rennais.
Greffe, hybridation... Les roses n'ont plus aucun secret pour le rosiériste rennais. (JBG)

Jeudi 23 juin 2022. Une journée idéale pour les roses. Le soleil réchauffe les serres de Michel Adam, mais pas trop. Le ciel a en effet eu la bonne idée d’ouvrir son parasol de nuages. Coiffé de son chapeau de paille, Michel Adam nous reçoit dans son petit coin de paradis. Que fait-il donc avec ses petits pots remplis de poussière d’or, ses ciseaux, son pinceau, son crayon et ses fils de laine ? Ces outils composent le nécessaire d’hybridation, la boite à outils du parfait créateur de rose, ou obtenteur. Mais faisons d’abord connaissance.

Michel Adam est un ancien cheminot, passé par Redon, Saint-Brieuc, Saint-Pol-de-Léon ou Lannion, sans oublier Montparnasse, la plus bretonne des gares parisiennes. Le Rennais aimait vendre des tickets ou donner des renseignements aux voyageurs, mais il n'a pas pu résister à l’appel de la terre. Après avoir acquis un terrain, le fils de jardinier a commencé à hybrider en amateur, c’est-à-dire croiser entre elles des variétés différentes pour obtenir de nouveaux spécimens. Nous constaterons bientôt que cet art tient autant de la science que de la chance.

Même si elle relève de la science, l'hybridation laisse beaucoup de place à l'incertitude, et Michel Adam connait beaucoup plus d'échecs que de succès.
Même si elle relève de la science, l'hybridation laisse beaucoup de place à l'incertitude, et Michel Adam connait beaucoup plus d'échecs que de succès. (JBG)

« J’ai lu beaucoup d’articles, dans Rustica ou L’Ami des jardins. Puis j’ai découvert la roseraie du Thabor. Je me suis alors abonné à la revue de la Société française des roses. Plus je lisais, plus cela me passionnait. » La goutte d’eau qui a fait débordé le vase ? « Je suis tombé sur un article portant sur la création de roses. J’ai essayé, et j’ai bien sûr tout raté. » L’apprenti rosiériste contacte alors l’auteur de l’article qui lui prodigue quelques précieux conseils.  « D’abord choisir des rosiers mères, qui peuvent porter des fruits, et donc avoir des descendants. Ensuite, respecter le calendrier des roses : l’hybridation, par exemple, se fait en mai-juin. Il faut un minimum de soleil pour que les graines parviennent à maturité, et que le fruit puisse mûrir. Enfin, identifier les variétés fertiles. C’est un phénomène très curieux, mais les très belles roses sont souvent stériles. »

La rose, c’est une panoplie de motifs et de formes, que l’on songe au nombre de pétales, au parfum, au port du rosier, régulier ou pas, arbustif ou grimpant.

Michel Adam

Reste ensuite à trouver son style, son identité, sa personnalité. « Il s’agit de créer, mais quoi ? Quand vous savez qu’il existe plus de 20 000 variétés de roses, il est très facile de se perdre en route. » Michel Adam va transformer l’essai pour la première fois à la fin des années 1970. Robuste, florifère et vigoureuse, la rose Ville de Liffré voit le jour. Un rosier presque trop bien réussi, comme nous le confirme son géniteur : « il peut monter très haut ! » Si la mode de l’époque est aux couleurs vives, orange vif ou jaune pétant, le premier modèle de Michel Adam voit quant à lui la vie en rose.

Un peu plus tard, le rosier Grand Huit, commandé par l’ancien directeur de l’ancêtre du TNB, va illuminer nombre de jardins de son rouge éclatant. Au total, le paradis de Michel Adam va voir éclore une centaine de petits anges roses, blancs, rouges ou jaunes. D’Elvis à Isabelle Autissier, en passant par Reflets de Saint-Malo ou Brocéliande, impossible de dresser la liste complète des créations du rosiériste.

Au nom de la rose

Mais au fait, comment attribue-t-on un nom à ces rosiers délicats ? Réponse de Michel Adam : « cela se fait en général sur demande. Cela peut-être à l'occasion d’une fête des fleurs, ou d’un événement accueillant un invité prestigieux, et désirant une rose à son nom. Ce n’est pas payant, mais nous demandons en retour une promesse d’achat de ces rosiers, afin de pouvoir rembourser les frais de recherche. »

Au total , Michel Adam a créé plus d'une centaine de variétés de roses.
Au total , Michel Adam a créé plus d'une centaine de variétés de roses. (JBG)

Si les roses anciennes, parfumées et très pétalées, sont aujourd'hui en vogue, les possibilités de création restent infinies. Et, Michel Adam d’évoquer cette demande des propriétaires du grand cru Gruaud Larose. « Ils cherchaient une rose pour symboliser leur vin, de couleur rouge bien sûr. » In vino veritas, c’est au final un rosier blanc, qui leur tapera dans l’œil. De Bagatelle à Glasgow, en passant par Lyon et Monza, l'obtenteur rennais n’a cessé de récolter les lauriers et les prix tout au long de sa carrière.

Les promeneurs du Thabor croiseront en chemin une trentaine de créatures du rosiériste. Certains spécimens sont des perles rares et n’existent en un seul exemplaire. D’autres ont connu un succès commercial certain et sont reproduits par milliers, protégés comme il se doit par une marque déposée. « Je touche des royalties sur les rosiers vendus, un peu comme des droits d’auteurJe suis sous contrat avec la société italienne Nirp international. » Une fois créées, les roses sont présentées à un concours. Les plus talentueuses rejoignent le catalogue de Nirp, et auront la chance d’être commercialisées par les pépiniéristes.  

Et l'on apprend au passage que le parfum est une molécule, que l'on peut même prendre en photo !
Et l'on apprend au passage que le parfum est une molécule, que l'on peut même prendre en photo ! (JBG)

Un peu magicien, un peu scientifique, et très rosiériste, Michel Adam jongle avec la loi de Mendel, qui fixe les principes de l’hérédité biologique, et son flair très aiguisé. « Tous les ans, il s’agit de trouver de la nouveauté pour éviter la consanguinité, et ramener du sang neuf. » Point d’orgue de sa carrière, le baptême de la Rose de Rennes, au début des années 1990, fut un véritable événement.

Je me souviens que le baptême avait été organisé par la Ville de Rennes et le salon du jardinage des Gayeulles. De nombreux élus étaient présents, et ma fleur avait eu la chance de s’afficher en grand format sur les affiches géantes de la ville.

Michel Adam
De Glasgow à Bagatelle en passant par Lyon, Michel Adam ne compte plus le nombre de prix reçus pour ses créations.
De Glasgow à Bagatelle en passant par Lyon, Michel Adam ne compte plus le nombre de prix reçus pour ses créations. (JBG)

Alors que les roses du Kenya remplissent les étals des fleuristes, les rosiers français de Michel Adam font le bonheur des pépiniéristes et des amateurs de roseraies. « On pourra bientôt trouver mes rosiers à Melesse, où mon fils s’installera comme pépiniériste, à l’automne », conclut l’ancien cheminot. L’occasion d’écrire un nouveau chapitre, de cet inoubliable roman de la rose.

Hybridation mode d'emploi

La botanique vous botte et vous vous sentez une âme de Geppetto ? Voici quelques principes à respecter pour une hybridation réussie. Pour cela, vous aurez besoin d’un petit pot, d’un pinceau, d’un crayon, de ciseaux, et d’un fil de laine.

1 / Choisir une rose encore en bouton et la castrer, c’est-à-dire la débarrasser de ses pétales, puis récolter le pollen à l’aide des ciseaux. Cette opération s’effectue en général le matin.

2 / Après quelques heures, utiliser le pinceau pour répandre le pollen d’une autre variété sur les stigmates de la fleur castrée. La poussière d’or aura au préalable était versée dans un petit pot identifié avec un crayon. Le fil de laine se révèle, quant à lui, beaucoup plus pratique que l’étiquette dans la mesure où la même opération peut être répétée plusieurs centaines de fois.

3 / Une fois absorbé par les stigmates jusqu’aux ovaires, commence la méiose, ou division des cellules. La sélection naturelle est drastique, et très peu de tentatives sont couronnées de succès. « Sur 10 000 semis, vous pouvez n’avoir que deux plants d’intéressants », note Michel Adam.

Mais le parcours du combattant ne s’arrête pas là. Après avoir fait leurs premiers pétales sous serre, les bébés roses seront plantés en pleine terre, afin de tester leur résistance. Très peu de spécimens connaîtront la joie de l’adolescence. Les plus beaux boutons seront greffés sur des portes greffes, en général des rosiers sauvages et robustes. Dans les champs de Michel Adam, les rosiers âgés de 2 à 10 ans se côtoient sur autant de plates-bandes. Ainsi va la vie des roses, parfois un peu rosse. C’est vrai qu’il faut souffrir pour être belle !     

Dossier réalisé par Jean-Baptiste Gandon