Le 23 mai 1987, l'Écomusée du Pays de Rennes ouvre pour la première fois ses portes au public. Les visiteurs découvrent alors, aux portes de Rennes, une exposition permanente, mémoire de la vie rurale de Rennes et alentours, et des parcelles cultivées.
Trente-trois plus tard, labellisé "Musée de France", l'écomusée a su conquérir un large public - 58 000 visiteurs par an en moyenne depuis plusieurs années - qui vient et revient au rythme des expositions temporaires annuelles et des animations régulières. Un nouveau projet scientifique et culturel vient inscrire pleinement La Bintinais dans le XXIe siècle.
Mais l'histoire a commencé il y a bien longtemps...
L'Écomusée du Pays de Rennes se situe au lieu-dit « La Bintinais », au sud de Rennes, en bordure de la rocade. « Bintinais », un nom qui apparaît vers le XIIIe siècle. C'est avec ce même nom que débute l’histoire de la ferme, au XVe siècle.
Le nom de Bintinais, apparu vers le XIIIe siècle, est formé, comme tous les noms en "ais", d'un nom de personne, Bintin, et témoigne d'une activité rurale qui fait reculer les friches, les landes et les bois. La Bintinais doit sans doute son nom à la famille de Bintin, dont le berceau fut le manoir ainsi nommé, à Cintré, à 20 kilomètres à l'ouest de Rennes. L'un de ses membres, Geoffroy de Bintin, était sénéchal de Rennes en 1262.
Le premier possesseur connu des lieux, fin du XIVe siècle est un certain Perrot de la Bintinaye, habitant aux Portes mordelaises, à Rennes. Jusqu'à la Révolution, la Bintinais, divisée le plus souvent en deux exploitations, appartient à des familles de la petite noblesse rennaise, les Bourgneuf, puis les Bazin ; elle est ensuite acquise par des commerçants, les Ramé, en 1826, puis les Bilard-Fraleu, en 1922. Ces propriétaires n'habitent pas sur place, mais jouissent, au 1er étage de la Grande Bintinais, d'une retenue de plusieurs pièces.
En 1895, les deux exploitations, la Petite Bintinais et la Grande sont réunies, formant ainsi une exploitation de plus de 62 hectares, soit dix fois la taille moyenne des fermes d'Ille-et-Vilaine.
Les fermiers qui louent des terres à la Bintinais sont originaires des communes environnantes : Chantepie, Chartres-de-Bretagne ou Rennes. À partir du XVIIIe siècle, on est fermier à la Bintinais au moins de père en fils : les Bertin, les Philouze, les Gautier-Guilloret, et enfin les Trochet, de 1935 à 1982.
Pendant la période 1850-1950, la ferme de la Bintinais sera considérée comme l'une des plus grandes du Pays de Rennes, sinon du département, avec deux productions majeures : le cidre et le lait. Avant que tout ne bascule...
La fabrication du cidre est attestée dans les baux de location dès le XVIIe siècle. La ferme devient une référence locale au début du XXe siècle, avec un verger de plus de 1 000 pommiers et une production annuelle entre 90 000 et 130 000 litres de cidre produits par an. La Bintinais s'inscrit par ailleurs dans la tradition laitière bretonne : entre 1830 et 1950, le troupeau de vaches oscille autour d'une trentaine de bêtes, un nombre étonnamment élevé pour l'époque.
Le cidre est livré quotidiennement aux cafés rennais, le lait et les légumes - une production d'appoint - sont vendus dans les petites épiceries et sur les marchés, comme celui des Lices.
Après 1950, en quelques années, tout va changer. La taille de l'exploitation est réduite progressivement : 16 hectares au début des années 1980. La demande de terrains à bâtir, la croissance de la ville, la volonté des propriétaires sont autant d'explications. La demande aussi change. Vins et bière remplacent le cidre dans les cafés. Pour des raisons sanitaires, la distribution du lait ne se fait plus de la même manière.
En 1982, le dernier exploitant de la Bintinais, Albert Trochet, prend sa retraite.
Dès 1978, sous l'impulsion de Pierre-Yves Heurtin, élu à la Culture à la Ville de Rennes, et de Jean-Yves Veillard, alors directeur du Musée de Bretagne, germe le projet d'un écomusée. Objectif : garder la mémoire rurale de la commune de Rennes et de ses évolutions tout en sauvegardant un ensemble architectural exceptionnel.
Après presque dix ans de travaux, l'Écomusée du Pays de Rennes ouvre donc ses portes, le 23 mai 1987, un équipement culturel alors qualifié de "magnifique" par France Régions 3 Rennes (source : Ina) :
Transformer la ferme en musée a permis de préserver un ensemble architectural exceptionnel et représentatif de l’histoire du Pays de Rennes. « Plus largement, l’exposition permanente vise à comprendre la sociologie rurale et le lien entre une ville, Rennes, et sa campagne », précise Jean-Luc Maillard, le directeur de l'écomusée.
Progressivement, l'écomusée a élargi sa palette pour répondre au plus près à sa mission de musée de société : « Interroger les traditions locales au regard de l'évolution », explique Philippe Bardel, conservateur du patrimoine. Un même objet est source de nombreuses approches. « À partir d'un meuble, on peut s'intéresser à l'arbre et au paysage qui était celui de l'époque, mais aussi aux gestes du menuisier, aux outils, l'évolution du métier... » Les expositions temporaires permettent d'explorer de nombreuses facettes du patrimoine local. Les noms même sont évocateurs : "Alambics et vieilles bouteilles", "Compagnons célestes", "Bois, l'âme de la forêt", "Le cochon, une histoire bretonne".
Chaque année est aussi ponctuée par des rendez-vous, saisonniers ou liés à l'actualité, pour garder vivant le patrimoine, témoigner de savoir-faire menacés ou faire découvrir des activités méconnues. Parmi les journées thématiques incontournables : l'apiculture et l'abeille, la tonte des moutons ou encore la fabrication de cidre au pressoir, avec présentation des variétés cidricoles conservées à l'écomusée, démonstrations de pressurage du cidre, découvertes des techniques et astuces de réalisation du cidre au pressoir et... dégustation !
Garder la mémoire, préserver, transmettre, donc, mais aussi valoriser le patrimoine vivant. Petit Canari de Rennes, Fer rouge, Monte en haut, Jambe de lièvre, Petite Jamette… Des noms de pommes, évocateurs, et sauvés de l'oubli par l’écomusée.
« Dès l’origine, la création d’un verger conservatoire s’est imposée », rappelle Jean-Yves Saffray, chargé du suivi des vergers. Car la renommée de la Bintinais s’est faite notamment sur le cidre. Au plus fort de la production, au XIXe siècle, la ferme, riche de plus de 1 000 pommiers, produisait plus de 100 000 litres de cidre, livrés dans les cafés de Rennes et alentours. En 1920, 250 variétés de pommes à cidre étaient répertoriées en Ille-et-Vilaine. Près de la moitié ont aujourd’hui disparu. C’est pourquoi « en 1987, nous avons planté des porte-greffes. Deux ans plus tard, les premiers agriculteurs sont venus greffer les variétés qu’ils possédaient ». Les trois vergers comptent désormais 120 variétés, soit près de 240 arbres, et forment un lieu unique de conservation des variétés locales anciennes.
Ces pommes ne demandent qu’à agrémenter d’autres vergers. « Nous proposons des formations au greffage avec don du greffon. » Ces variétés, parfois moins productives mais de meilleure qualité, intéressent aussi les agriculteurs. L’écomusée a donc mené pendant cinq ans une étude avec la Chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor pour caractériser chaque variété. « Actuellement, en lien avec le pôle fruitier de Bretagne, nous travaillons sur la caractérisation des jus. » L’enjeu ? La survie des variétés cidricoles traditionnelles du Pays de Rennes pour les décennies à venir.
Dans l'étable, Angelo, 8 ans, s’émerveille avec son copain Mathys devant un tout jeune veau, de race armoricaine : « Regarde, il boit du lait ! » Une scène somme toute banale et pourtant...
Sans le travail réalisé par l’écomusée, en lien avec le parc naturel régional d’Armorique (Finistère), la race armoricaine aurait peut-être disparu. « En 1995, il ne restait que 90 vaches », explique Jean-Paul Cillard, zootechnicien en charge du cheptel. Créé en 1994, le parc agro-pastoral a pour objectif « la conservation des races domestiques à faible effectif ». Si l’emblématique poule Coucou de Rennes, la chèvre des fossés, au tempérament bien trempé, ou encore le mouton d’Ouessant, « le plus petit mouton du monde », sont souvent à l’honneur, l’écomusée a su redonner une place à nombre d’espèces de bovins, ovins, porcs ou volailles.
Depuis 23 ans, les effectifs de toutes les races ont augmenté, « en lien avec des associations, existantes, ou créées à notre initiative, et des éleveurs ». Car conserver ne suffit pas. « Pour sauvegarder une race, il faut lui trouver des débouchés. » Souvent délaissées pour cause de rendement moindre, mais offrant des produits de meilleure qualité, elles intéressent plus particulièrement les agriculteurs privilégiant de petites structures, la vente directe… « Toutes les races bovines ont trouvé leur vocation, viande ou lait et dérivés. »
Pour la chèvre des fossés ou le mouton des landes de Bretagne, races rustiques, l'écomusée a cherché à développer l’écopâturage. Cette pratique est adoptée par de plus en plus de communes, qui participent ainsi à maintenir une filière : « Pour les éleveurs, c’est une garantie de trouver des débouchés pour les mâles, seuls concernés. » Parallèlement, l’écomusée travaille avec l’Inra sur l’analyse du lait des chèvres des fossés, en particulier la teneur en caséine, facteur essentiel pour sa transformation en fromage « en vue de la sélection des animaux ». Autre exemple avec le mouton de Belle-Île, « dont le seul troupeau au monde est à l’écomusée », et pour lequel la sélection porte sur la diminution du nombre d’agneaux par portée.
Présentés à Paris lors du Salon international de l’agriculture, et régulièrement primés, les animaux de l’écomusée sont des ambassadeurs du Grand Ouest, au-delà même des frontières nationales. « Nous fournissons des reproducteurs de la race ouessantine en Allemagne, aux Pays-Bas, au Portugal, en Italie, en Belgique ! »
Une réussite que l’écomusée doit aussi à ses partenariats avec l’Institut technique du porc, l’Institut de l’élevage, les associations locales ou encore la Fédération des races de Bretagne.
Lieu de promenade, de découverte du cheptel, de connaissance et de compréhension de la vie rurale, passée et présente, l'écomusée a su conquérir un public nombreux, avec près de 58 000 visiteurs par an. Le moment est toutefois venu de donner un nouveau souffle à ce musée de société. C’est l’objet du nouveau projet scientifique et culturel pour 2020-2026.
« L’étude réalisée en 2016 a montré que, comparativement à d’autres musées nationaux, nous avons un ancrage territorial très fort et un public lui aussi très fidèle », note Jean-Luc Maillard, le directeur. Progressivement, l’écomusée a passé les frontières locales, « avec une audience qui s’est élargie, au-delà du Pays de Rennes, et des partenariats et échanges avec de nombreuses structures régionales ou interrégionales. »
Trente ans après son ouverture, le temps est toutefois venu de donner un nouveau souffle à ce musée de société. « Nous avons à anticiper sur les thématiques de société. Le patrimoine naturel, l’alimentation, le "produire autrement", les jardins, la transition agro-écologique et environnementale, la biodiversité : autant de questions qui inquiètent, préoccupent beaucoup plus qu’il y a trente ans et que nous abordons en croisant les sciences humaines et techniques, toujours sous l’angle des évolutions historiques », poursuit Jean-Luc Maillard.
L’exposition permanente va être revue, en associant à l’histoire de la Bintinais les caractéristiques du territoire, son identité et sa culture : paysage et bocage, agriculture et élevage, le patrimoine architectural, la Vilaine… Un nouvel espace muséographique, la Halle du vivant, abordera les relations de l’homme à la nature, comment celui-ci a détourné les lois de la nature et sélectionné plantes et animaux à son profit, depuis des millénaires. En complément, un potager historique retracera l’évolution des productions légumières et fruitières au cours des siècles passés.
Un nouveau parcours de visite extérieur va aussi être imaginé, « autant d’occasions pour expérimenter la nature. » Certains arbres "témoins" seront taillés pour restituer la diversité des pratiques et des usages. Les vergers conservatoires vont bénéficier d’une signalétique d’identification, et la collection fruitière sera mise en ligne pour être accessible au plus grand nombre, particuliers ou professionnels.
La Bintinais, c’est aussi 20 hectares de nature aux portes de Rennes, avec 3 km de haies, « un îlot de biodiversité à préserver et à développer », insiste Jean-Luc Maillard. Classé "refuge LPO" depuis 2018, l'écomusée va accueillir 120 nichoirs et 40 gîtes à chauve-souris au cours de l’hiver 2020. De plus, le cheptel va être légèrement réduit afin de laisser 1 ou 2 ha en prairies naturelles, pour favoriser le développement des populations d'insectes. Un enjeu important alors que de nombreuses espèces tendent à disparaître avec la raréfaction inquiétantes des zones naturelles.
Monique Guéguen