Vous ne pouvez pas la manquer : avec sa porte bleue et ses murs de schiste pourpre, la grande bâtisse est surplombée d’une coupole… Située entre les quartiers Bréquigny et Sud-Gare, l'ancienne prison Jacques-Cartier fait partie du paysage rennais. Acquis par Rennes Métropole en 2021, ce bien commun en cœur de métropole est en train de s'inventer un avenir.
Appel à manifestation d'intérêt
Rennes Métropole lance un appel à manifestation d'intérêt auprès d'acteurs volontaires et capables de développer un projet d'occupation temporaire sur le site Jacques-Cartier, en résonance avec le futur du site, à caractère culturel et citoyen, pour une durée de 5 ans.
Il s'adresse aux acteurs, associatifs ou entrepreneuriaux, agissant dans le champ de l'économie, des arts et de la culture, des solidarités, de l'urbanisme et du patrimoine…
Calendrier du projet :
26 février 2025 : Dépôt des candidatures (un projet, une équipe, un modèle économique)
Juin 2025 : Désignation du lauréat
Fin 2025 : Première installation du projet sur site
Téléchargez l'appel à manifestation d'intérêt sur marches.megalis.bretagne.bzh (Ref : 2024_DIRCULT_AMI_0001)
À l’époque de sa construction, à l’aube du 20ème siècle, la prison Jacques-Cartier se situait loin des regards.
Nous sommes en 1903 et la maison d’arrêt ouvre alors ses fenêtres sur des champs et des marécages. La ville n’a pas encore conquis le sud de La Vilaine. Construite à l'écart de la ville et sur un point culminant, la prison est ainsi isolée tout en restant à une distance raisonnable du Palais de Justice.
Un chef-d’oeuvre de modernisme
La prison Jacques-Cartier est conçue par l’architecte départemental Jean-Marie Laloy en réponse à une commande du Conseil Général d'Ille-et-Vilaine en 1895. Pour dessiner cette prison départementale, Jean-Marie Laloy étudie les plans des nouvelles prisons modernes de Bourges, de Chaumont et plus particulièrement de Béthune.
La prison Jacques-Cartier est construite avec des matériaux locaux et pérennes, dont le schiste pourpre de Pont-Réan et du grès. La façade se veut volontairement imposante car elle doit incarner la puissance d'État. L'architecture doit imposer crainte et respect.
D'un point de vue architectural, Jean-Marie Laloy adopte le principe d’une construction en croix latine et organise l’édifice autour d’une rotonde centrale et de trois nefs à coursives distribuant 177 cellules. Depuis la rotonde centrale, le personnel pénitentiaire peut surveiller tous les mouvements dans la prison. C'est ce que l'on appelle un système panoptique.
La prison adopte également un modèle cellulaire : chaque prisonnier est enfermé seul dans sa cellule où il se repose, se restaure et travaille. L'objectif est de laisser le détenu face à sa conscience et d'empêcher la promiscuité. La cellule devient une sorte de prison dans la prison.
À son ouverture en 1903, la nouvelle prison apparait comme le symbole de la modernité architecturale et sociale. Elle incarne l'évolution des normes de détention en France. Les cellules offrent un certain confort et pour l’historien Adolphe Orain, le bâtiment est un chef d'œuvre de modernisme.
Chaque cellule est chauffée, éclairée, ventilée, munie d’une fontaine […] Son mobilier se compose d’un lit, d’une table, d’un siège avec chaîne, d’une étagère d’angle, le tout scellé solidement. Il y a vingt-trois préaux cellulaires, dix-huit pour les hommes et cinq pour les femmes. [...] Ce superbe établissement, dont il a été pris possession le 15 octobre 1903, est éclairé au gaz, alimenté par l’eau de ville, avec branchement aux égouts, chauffage à vapeur à basse pression et monte-charges desservant tous les étages.
Au fil des décennies, le site subit plusieurs modifications, dont la plus importante est l'ajout d'une aile supplémentaire au sud de la parcelle. Achevée en 1971, cette aile permet de doubler la capacité d'accueil de la prison. Des ateliers de travail sont également construits à la fin des années 1980 et accueillent notamment des zones de couture, de serrurerie ou encore de menuiserie.
Durant un siècle, la prison est un chantier permanent afin d'adapter l'architecture aux évolutions des normes de détention. La prison ferme ses portes en mars 2010, date à laquelle les détenus sont transférés au nouveau centre pénitentiaire de Rennes-Vezin.
Un bâtiment, des mémoires
La prison Jacques-Cartier traverse deux guerres mondiales. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la prison sert de lieu de détention pour de nombreux résistants et prisonniers politiques bretons. Pour certains, l'histoire s'arrête brutalement sur la butte de la Maltière ou devant le mur de la caserne du Colombier. D'autres subissent la déportation dans les camps de l'Allemagne nazie et peu d'entre eux en reviennent.
La prison est également tristement connue pour avoir accueilli dans ses sous-sols une salle de torture. C'est ainsi que sont torturés de nombreux et nombreuses résistants et résistantes, dont Thérèse Pierre et Pierre Dordain, respectivement responsables de réseaux de résistance à Fougères et Mordelles. Ils meurent à la prison en 1943, quelques jours seulement après leur arrestation.
Les 2 et 3 août 1944, plus d'un millier de femmes et d'hommes sont évacués de la prison Jacques-Cartier et du camp Margueritte (camp de prisonniers annexe à la prison). Ils sont embarqués dans deux trains partant de La Prévalaye et de La Courrouze vers des camps de concentration et d'extermination en Allemagne. Celui que l'on surnommera plus tard le « train de Langeais » est le dernier train à partir de Rennes vers l'Allemagne nazie alors que la ville est libérée dans la matinée du 4 août…
Si la prison Jacques-Cartier est un témoin de l'histoire nationale, elle est aussi celle de l'histoire ordinaire, de l'histoire quotidienne. C'est l'histoire d'hommes et de femmes, d'un personnel pénitentiaire et de prisonniers qui se côtoient et vivent dans une « ville à l'intérieur de la ville ». C'est aussi l'histoire de familles et d'associations qui œuvrent pour favoriser la réinsertion sociale des détenus et conserver les liens avec l'extérieur.
Et puis c'est également le témoin d'une histoire politique et sociale, des réflexions sur les conditions d'incarcération aux évolutions sociétales, des mouvements politiques et sociaux à l'arrivée du travail en prison dans les années 1980.
En savoir plus sur l'histoire de la prison Jacques-Cartier avec le Podcast : Raconte-moi Rennes
Fin septembre 2021, Rennes Métropole acquiert auprès de l'État cette ancienne maison d'arrêt. Reconnu comme un élément ayant de l'intérêt patrimonial dans le plan local d'urbanisme intercommunal, le bâtiment ne peut pas être démoli mais il peut être transformé.
Mais alors, que va devenir l'ancien lieu de mise sous écrou ?
Une partie de la réponse a été donnée par Nathalie Appéré, maire de Rennes et présidente de Rennes Métropole, qui aimerait en faire « un lieu de culture populaire ouvert, dans une démarche citoyenne et participative inspirée de celle utilisée pour l’Hôtel Pasteur ».
Le ton est donné : Jacques-Cartier aura une vocation culturelle et citoyenne, qui préservera et valorisera l'histoire du lieu.
Un lieu de proximité, un lieu métropolitain.
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1,3 ha à transformer en plein coeur de métropole
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12 000m² de surface bâtie
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300 anciennes cellules
Un chantier s'ouvre, celui de dessiner, collectivement, le nouveau visage du lieu
Pour engager la réflexion sur l'avenir du site, une étude urbaine et culturelle a été conduite avec un premier groupe d'une soixantaine de personnes aux profils divers : habitants, acteurs culturels et associatifs, membres des conseils de quartier en proximité, collégiens du collège des Ormeaux et acteurs du milieu universitaire et carcéral.
L'objectif : imaginer ce que pourrait être ce lieu culturel et citoyen et identifier les conditions à réunir pour y parvenir.
Quatre ateliers ont ainsi été animés par le Facteur urbain :
- Atelier n°1 : Cartes sur table, pour partager les impressions et commencer à se projeter, avec une visite sensible du site
- Atelier n°2 : Balisage, pour imaginer de nouvelles fonctions à accueillir sur le site, à partir des éléments architecturaux
- Atelier n°3 : Récits de voyage, pour regrouper les idées et les enjeux en grands axes, pour guider la reconversion future ;
- Atelier n°4 : Le cap, pour partager et réagir sur les grandes directions du projet de reconversion et sur le "manifeste" de Jacques-Cartier.
En parallèle de ces ateliers, deux temps de rencontre ont été menés avec 10 détenus de la prison de Vezin-Le-Coquet pour recueillir leurs idées et leurs impressions concernant le projet de reconversion.
Jacques-Cartier, demain cela pourrait être un lieu pour parler de la détention, un lieu refuge, mais aussi un espace libre d'expression, festif et convivial.
Au fil de la concertation, 3 grands axes se sont dégagés :
- Société : UNE PLACE pour des projets citoyens
Jacques-Cartier sera un patrimoine préservé et valorisé. On y trouverait des contenus et des usages à caractère civique et social : agora, espaces de réunion et de travail pour les associations et structures citoyennes, espaces ouverts à une diversité de pratiques, à l'échange et à la rencontre.
Jacques-Cartier serait une ruche associative, un lieu adapté à la formation et à l'apprentissage, la réinsertion et l'orientation, une ressource pour tous les acteurs de la société civile.
- Création : UN PHARE de créativité
Jacques-Cartier serait un lieu qui porte une attention particulière à toutes les étapes du travail artistique, culturel et créatif : espaces de réflexion, de recherche et de travail en collectif, espaces de production, et espaces d'expositions, voire hébergement pour des artistes.
- Environnement : UNE OASIS de nature en ville
Jacques-Cartier serait un espace de respiration dans la ville, un espace de verdure et de fraîcheur. Répondant à des enjeux de transition écologique, la végétalisation du site permettra de créer des espaces de passage, de repos, de promenade et de jeux, mais aussi de pratiques libres, et des jardins potagers/ nourriciers.
Ces 3 directions sont pensées comme complémentaires les unes par rapport aux autres, avec une ambition commune : accueillir une grande diversité de personnes. Cela implique la possibilité de manger sur place, de flâner, de s'y sentir bien.
Une exposition présentant les premières années de réflexion sur le projet d'avenir est à découvrir !
Cette ancienne maison d'arrêt représente un morceau de notre patrimoine, une partie de notre identité collective. La curiosité suscitée par ce lieu depuis sa fermeture en 2010 témoigne de l'attachement et de l'intérêt que les habitants portent à cet endroit singulier.
Dès maintenant, le site Jacques-Cartier est un terrain d'expressions culturelles, citoyennes et sportives... L'idée est de permettre de découvrir ce lieu au plus grand nombre, d'en faire un lieu de vies régulièrement ouvert et de tester des usages pour demain.
Retour sur quelques-unes des ouvertures du site Jacques-Cartier
- En 2022 :
- Septembre : première ouverture du site au grand public pour les Journées Européennes du Matrimoine et du Patrimoine : 12 500 visiteurs sont venus visiter l'ancienne prison ! Une opération renouvelée chaque année, avec des visites guidées, des visites libres, des animations, construite en partenariat avec des acteurs locaux, et toujours un grand succès !
- En 2023 :
- Juin : un week-end atelier participatif autour de la photo argentique avec la complicité de 12 voisins accompagnés par deux photographes;
- Juin : un week-end placé sous le signe de la danse avec le Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne;
- Juillet et août : des visites du site organisées dans le cadre de la programmation "Cet été à Rennes";
- En 2024 :
- Avril : deux journées de sensibilisation à la justice organisées par l’association Champs de Justice à destination de 4 classes de collégiens et lycéens de la métropole;
- Avril : passage de 12 600 coureurs dans la prison à l’occasion de l’Urban Trail !
Ces ouvertures témoignent d'une mobilisation citoyenne et d'un sujet d'intérêt pour des habitants, des associations, des universitaires et des acteurs de la vie culturelle locale. C'est tous ensemble que le projet se dessine à l'horizon.