Que l’on évoque le célèbre almanach du facteur ou les billets de banques, les produits sortis des presses des imprimeries Oberthür ont pénétré dans chaque foyer français, du 19e siècle à nos jours. Retour sur l’épopée d’un géant du papier rennais devenu très populaire grâce à quelques idées de génie.
Ce n’est pas une image : les imprimeries Oberthür connaissent les Français comme leurs poches, où atterrissent encore aujourd’hui les billets de banque fabriqués par l’entreprise rennaise.
Auparavant, cette dernière avait déjà réussi le tour de force de pénétrer dans les foyers de l’Hexagone, avec l’almanach du facteur.
Ne parlons pas des passeports imprimés sur les rotatives de la capitale de Bretagne, et qui permirent à des millions de citoyens de l’Hexagone de jouer aux passe-murailles aux quatre coins du monde.
Mais jetons l’encre au début de cette saga riche en images d’Épinal et pourtant bien réelle, commencée au mitan du 19e siècle : originaire de Strasbourg, Charles-François Oberthür arrive à l’imprimerie Marteville et Landais en 1838, après avoir fourbi ses armes à Paris.
Auparavant, l’Alsacien a passé sa jeunesse au milieu des effluves d’encre et des rognures de gommes. Il a assisté en direct aux débuts de la lithographie, une technique mise au point par Aloys Senefelder, avec qui travaillait son père.
LE FACTEUR "GÉNIE"
À Rennes, l’imprimerie Landais façonne essentiellement des travaux de villes, registres de commerce, publicités, cartes de visite ou faire-part. L’heureux événement viendra quelques années plus tard, en 1854, avec la production industrielle de l’almanach du facteur.
Charles-François Oberthür a pris la tête de la manufacture rennaise deux ans plus tôt, et ne tarde pas à exprimer son sens des affaires.
L’imprimerie se situe alors rue du Palais, et la typographie, Rue Impériale. Elle déménage en 1869 vers la rue de Paris, sur une zone maraîchère où le chef d’entreprise fait construire une halle par l’architecte Martenot, puis une deuxième par Jobbé-Duval en 1883.
Comme employé pendant 10 ans, il est resté songeur devant les almanachs des facteurs vendus dans les librairies rennaises. Le déclic se produit en observant un employé des postes bricoler un calendrier avec des rubans de couleur, à l’occasion des étrennes.
Flairant le potentiel du produit, l’industriel va procéder à son amélioration et surtout, l’imprimer à moindre coût.
Horaires de marée, cycles lunaires, et plus tard, horaires de train… Personnalisé pour chaque département, l’almanach du facteur est un savant cocktail d’informations pratiques et d’œuvres artistiques, et va progressivement trouver son visage actuel.
Sa sensibilité artistique et ses connaissances en lithographie poussent Charles-François Oberthür vers les images. Les scènes illustrant la vie quotidienne de l’époque vont venir égayer les murs des chaumières de l’hexagone, et ce quelque soit le statut social des ménages.
Le succès du calendrier des postes va faire date, accompagnant la croissance de l’entreprise qui accueille ses premières machines à vapeur, quitte à incommoder les voisins de la rue impériale, l’actuelle rue Nationale.
En 1855, ce sont déjà 500 000 exemplaires qui sont imprimés et distribués dans 32 départements.
La renommée des imprimeries Oberthür s’encre dans les esprits. Homme d’affaire sans pareil, l’industriel rennais a compris que le marché était aussi vaste que le pays compte de foyers, et eu la bonne idée de lancer sa production en masse.
812 000 exemplaires en 1857 ; 4 000 000 en 1886, 11 000 000 en 1914… En 1953, Oberthür écoule encore 7 millions d’almanachs délicieusement kitsch, illustrés par des artistes de renom travaillant sur commande, tels que Gustave Doré et Édouard Vaumont.
Autant dire que l’éphéméride est loin d’être éphémère, la preuve avec les minois mignons de ces chatons qui sourient encore aujourd’hui sur les murs des cuisines françaises.
N’oublions pas les autres productions, certes plus classiques, mais qui permirent à l’homme d’affaires rennais d’assurer la pérennité de l’entreprise : les affiches commerciales et les étiquettes publicitaires ; les livres et les documents administratifs, et notamment les passeports et tous les documents de sécurité.
LA PLANCHE À BILLETS DE L'HEXAGONE
Si l’Almanach des facteurs a braqué tous les regards, les imprimeries Oberthür ont su réaliser un autre hold-hop en obtenant l’impression des billets de banque, à partir de 1940.
Société issue de la liquidation des imprimeries en 1983, Oberthür fiduciaire imprime toujours en toute discrétion, des petites coupures dans la zone industrielle de Chantepie.
En 2012, ce sont quelques 800 personnes qui produisent 4,2 milliards de billets… Aucun braquage à la rennaise à déplorer, hormis un vol de pesos dominicains, en 2014.
LA MAITRISE DU PROGRES POUR SE RÉINVENTER
De l’almanach aux billets de banques en passant par les manuels scolaires, la dynastie Oberthür a su prendre le train du progrès en marche, à l’image du contrat d’exclusivité signé en 1862 avec la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest, pour l’impression des titres de transport et des horaires.
En 1889, l’installation d’un laboratoire de photographie marque un virage dans le développement de l’entreprise, en simplifiant les procédés de reproduction et en multipliant les possibilités d’impression. François-Charles Oberthür démontre au passage une nouvelle fois sa capacité à tirer le meilleur parti du progrès, améliorant la production de l’entreprise en qualité et en quantité. De la typographie à la lithographie, et de la gravure traditionnelle à la photogravure, l’entreprise est quant à elle armée pour répondre aux demandes variées de ses clients.
De 18 ouvriers en 1852, les effectifs passent quant à eux à 674 en 1893, puis 1300 en 1983, date de la liquidation de l’entreprise.
Quel jour sommes nous ? À quelle heure la mer sera-t-elle pleine ? Quand part le train ? Grâce à Oberthür, les Français ont pu répondre à ces questions essentielles. L’entreprise rennaise a également permis à ces derniers de voyager et de payer leurs factures.
De la gravure à la typographie en passant par la lithographie, la manufacture de la rue de Paris a enfin accompagné les différentes étapes technologiques de la profession.
QUAND L'INNOVATION SE VEUT ÉGALEMENT SOCIALE
Mais François-Charles Oberthür a également su innover en matière sociale, notamment salariale.
En 1865, une longue grève touche l’ensemble des imprimeries rennaises, et marquera durablement le chef d’entreprise. D’abord partisan d’une ligne dure, cet adepte du catholicisme social finit par changer de posture.
La politique paternaliste mise en place débouche notamment sur la création d’une société de secours mutuelle. Ses adhérents bénéficieront notamment de soins médicaux, de médicaments, d’une indemnité en cas de maladie, et même d’une prise en charge de leurs frais funéraires.
Côté enseignement, une école chargée de former les futurs compositeurs, typographes, graveurs et autres doreurs est également ouverte. Ses jeunes élèves sont en retour tenus d’assister chaque dimanche à la messe donnée à l’église N.D de Toutes-Grâces, faubourg d’Antrain.
N’oublions pas non plus la fanfare, le service médical et la société de gymnastique qui verront défiler de père en fils et de mère en fille, des générations d’ « Oberthür », comme on les appelle alors.
Petit clin d’œil à une actualité brûlante, le visionnaire François-Charles décide en 1874 d’offrir une retraite aux ouvriers âgés de 60 ans, et ayant passé 25 ans dans l’entreprise.
L’année suivante, il reçoit la légion d’honneur de la part du Maréchal-Président Mac Mahon, et offre en retour à ses 367 ouvriers un livret de caisse d’épargne au montant proportionnel aux années passées dans l’imprimerie.
En 1876, il est tout bonnement reçu en audience privée par le pape Pie XI, à Rome.
Ancré dans le paysage industriel, la dynastie Oberthür possède également un enracinement rural, notamment à Monterfil où elle occupe des fonctions d’adjoint ou de maire. Innovateur insatiable, François-Charles œuvre par ailleurs à la diffusion des nouvelles techniques agricoles au sein de la Société d’agriculture d’Ille-et-Vilaine.
Que reste-t-il à dire sur la plus rennaise des dynasties alsaciennes ? Si elle a marqué la France, cette famille de la haute-bourgeoisie a également façonné la ville de Rennes, et notamment la rue de Paris. Les Rennais passent chaque jour devant les vestiges magnifiques de ses halles d’usine, ses hôtels particuliers ou encore le parc du même nom.
DES ENTOMOLOGISTES DE RENOM
Fin de l’histoire ? Minute papillon ! Charles et René, les fils du fondateur, deviendront des entomologistes de renom, tandis que la génération suivante s’adonnera avec succès au dessin et à la peinture.
Prenant la suite de son grand-père, Charles a commencé sa collection de lépidoptère à l’âge de 7 ans, jusqu’à compter 5 millions de spécimens, pour la plupart conservés aujourd’hui au Museum d’histoire naturelle de Londres. René s’est quant à lui spécialisé dans les coléoptères, et ses trésors ont été rachetés par le Museum d’histoire naturelle de Paris.
En amateur, les deux frères ont donc fait œuvre scientifique, à l’image du premier qui publiera 43 tomes, une somme, sur les lépidoptères.
Au fil de leur ascension sociale, les Oberthür se sont intégrés dans les milieux politiques, économiques et scientifiques.
Leur goût pour l’architecture les a en outre conduit à des collaborations avec des architectes rennais de renom, tels Martenot, Jobbé-Duval, Le Ray ou Coüasnon.
Surplombant le parc du même nom, les hôtels particuliers de la famille, ancrent cet âge d’or dans les mémoires.
Une autre manière de dire que le nom d’Oberthür n’est pas prêt de s’effacer.
Un dossier réalisé par Jean-Baptiste Gandon
Oberthür : un destin impressionnant à découvrir en Podcast
Oberthür c'est un nom attaché à l'histoire de Rennes ! C'est aussi une référence en matière de produits imprimés. Oberthür, c'est surtout des idées lumineuses, en phase avec les attentes des français, et ça, ce n'est pas rien ! Retour en podcast sur l'épopée de l'imprimeur qui a durablement façonné le visage de la capitale Bretonne.