Dix mille Rennais vivent au quotidien dans une centaine d’immeubles et maisons rêvés par Georges Maillols. À travers les baies vitrées de sa réalisation phare, les tours Horizons dont on célèbre cette année le cinquantenaire, ou via les bow-windows de l’un de ses 1ers projets concrétisé quai Richemont, récit d’un architecte hors normes.

Les « épis de maïs » des tours Horizons ; le « paquebot » de la barre Saint-Just ; le subtile dégradé de gradins du Trimaran ; les hublots rigolos du parc Alma ; sans oublier ces dizaines d’immeubles discrets et maisons sages maillant la ville… Impossible, quand on est Rennais, d’ignorer les réalisations « utopiques », souvent atypiques, de Georges Maillols. Dix mille privilégiés ont même aujourd’hui l’heur de vivre dans la peau de l’architecte, ou plutôt dans les murs de ses appartements résolument à part.

Immeuble aux formes originales
Construit en 1977, Le Trimaran est symbolique du style Maillols (JBG)

Des plans sur la comète, mais fonctionnels

Raconter les rêves de Georges Maillols, la « starchitecte » de Rennes, c’est d’abord faire le récit d’une certaine France, à peine sortie du cauchemar, au lendemain de la guerre. Un être au corps déchiré, meurtri, au bord de la ruine. À Rennes comme ailleurs dans l’Hexagone exsangue, l’urgence est à la reconstruction. Arrivé de Laval, le jeune Georges posera d’ailleurs l’une de ses premières pierres du côté de Cleunay, à la Cité d’urgence Eugène-Pottier, « plan local d’humanisme » destiné aux mal logés et aux sans abris.

Le père des Horizons ne va pas tarder à se construire une réputation en béton : nous sommes à l’automne 1953, l’architecte a quarante ans, et le style Maillols est déjà là, résumé dans un immeuble bâti au numéro 14 du quai Richemont : un esprit technique affûté ; une audace urbaine réelle (par la hauteur, déjà) ; un art de moduler les espaces intérieurs ; un sens aigu de l’orientation ; sans oublier les pilotis réinventés…

Propriétaire comblé et lui-même architecte, Dominique Jézéquellou témoigne : « Dès que j’ai vu comment la lumière pénétrait dans l’appartement, les cadrages sur la ville qu’il offrait, je n’ai pas hésité. Ce qui est extraordinaire, c’est la fenêtre en longueur à l’ouest, le bow-window et le balcon. Nous avons ici les quatre expositions, c’est rare ! »

Si Georges aimait faire des plans sur la comète archi, ces derniers devaient avant tout être fonctionnels, et maîtriser l’espace et le paysage.

Immeuble vu de côté
Réalisé à partir de 1951, l'immeuble du 14, quai Richemont, est l'une des 1ères réalisations de Georges Maillols. Ici, un projet d'étudiant. (DR)

Un corps urbain en urgence absolue

Mais revenons au commencement. À Rennes, le tissu urbain d’après 1945 n’a pas seulement souffert des bombes. Avec ses maisons en bois héritées du Moyen Âge, dans un bassin où la pierre de construction est aussi rare que précieuse, celui-ci est dans un état de vétusté effarant. En 1954, 33 % des appartements ne possèdent toujours pas l’eau courante, et 42 % n’ont pas de WC intérieurs. Avant d’être moderne, Rennes pense confort modeste.

C’est dans ce sombre décor que Georges Maillols va commencer à nourrir ses lumineux desseins. L’architecte et sa modernité pragmatique vont faire des merveilles. Le maire de l’époque Henri Fréville a fait de l’éradication des ilots insalubres une priorité. Il s’agit selon lui de transformer la ville en cité modèle, à l’aune des nouvelles données scientifiques et sociologiques. L’heure est aux vastes opérations programmées autour du centre-ville, en privilégiant notamment la préfabrication à grande échelle. Un volontarisme politique affiché, et dont l’opération du Bourg - L’Évêque, lancée en 1957, est une parfaite illustration.

Pour Jean-Yves Andrieux et Simon Letondu, auteurs d’une somme sur Georges Maillols*, « son parcours créatif dans une ville moyenne de province résume trois défis de l’architecture contemporaine : l’économie, le logement et l’esthétique. L’héritage de Georges Maillols se confond avec le logement social des Trente glorieuses. C’est l’époque où l’échelle de l’architecture explose. Son œuvre est liée aux conditions de la culture de masse et, en particulier, à la diffusion des images

Si les deux flèches iconiques de son œuvre majeure se perdent dans le ciel rennais, l’architecte a toujours su garder les pieds sur terre : « je ne suis ni jardinier, ni bricoleur, simplement architecte », aimait-il se présenter.

Vue d'ensemble du quartier Bourg-L'évêque
Lancée en 1957, la construction du quartier Bourg-L'Évêque vise d'abord à combler le retard rennais en matière de logements (JBG)

Une histoire belge

Né le même jour que la reine d’Angleterre Elisabeth II, Georges Maillols possède surtout un oncle belge, inventeur d’une technique d’enfonçage de pieux armés et fondateur de la Compagnie internationale éponyme. L’apprentissage suivi chez tonton Edgard Frankignoul influencera durablement sa pratique, et les pieux Franki lui permettront notamment de rendre constructible le terrain marécageux du 14, quai Richemont. Les mauvaises langues prédiront longtemps l’effondrement de cet immeuble, alors le plus haut de Bretagne…

Après avoir posé ses valises à Rennes en 1946, l’architecte reprend l’agence d’Henry Coüasnon. Au début des années 1950, il se voit confier les enquêtes sociales des îlots insalubres : « j’étais le seul intéressé, c’était très peu payé. » Bûcheur et talentueux, il impose vite son regard novateur dans le paysage rennais.

Son agence monte en charge, et les commandes s’accélèrent, l’occasion de prendre les commandes de puissantes cylindrées. Le fou de volant est un homme du XXe siècle, et porte une attention particulière aux parkings dans ses projets. Brillant architecte, il est un épicurien porté sur les belles carrosseries et la bonne chère : compagnon du Beaujolais, chevalier du Tastevin, il crée également le Pipe club de Rennes, en cheville avec l’adjoint au maire Georges Graff et le directeur de l’opéra Pierre Nougaro. « La pipe pour fumer et dessiner, c’est tellement plus simple », déclarait-il entre deux bouffées.

Brillant architecte, l’homme était aussi un épicurien porté sur les belles carrosseries et la bonne chère 
Brillant architecte, l’homme était aussi un épicurien porté sur les belles carrosseries et la bonne chère  (Richard Volante)

Horizons assombris

Après l’âge d’or des réalisations iconiques (Grand bleu 1958-1960, barre Saint-Just 1962-1969, Caravelle 1965-1968, tours Horizons 1968-1970, Trimaran 1974-1978…), les années 1980 sont pour lui synonymes de traversée du désert. Très affecté et quasiment ruiné par le scandale des enduits de ravalement des maisons Tournesol à Rennes, l’architecte peine à revenir aux affaires.

De retour dans la capitale de Bretagne au début des années 1990, il trouve refuge dans l’agence de David Cras. Le directeur de l’office HLM lui propose quant à lui une location dans l’immeuble Armor, que l’architecte a lui même dessiné…

Le créateur de L’étoile, à Beaulieu, s’est éteint le 25 juillet 1998, mais sa lumière continue de se refléter chaque nuit sur les fenêtres des Tours Horizons.

* Jean-Yves Andrieux & Simon Letondu, « Georges Maillols architecte », 2013, 35 €, PUR.

L'étoile, restaurant universitaire de Beaulieu
Le créateur de L’étoile, à Beaulieu, s’est éteint le 25 juillet 1998, mais sa lumière continue de se refléter chaque nuit sur les fenêtres des Tours Horizons (DR)

MAILLOLS EN UN CLIN D'ŒIL

Quelques chiffres : + de 100 immeubles pour + de 10 000 rennais

Une première : Le 1er immeuble de grande hauteur à vocation de logement en France (IGH)

Des sources d’inspiration : les États-Unis et l’Italie

Des influences variées : Victor Vasarely, la peinture flamande, Dali…

Des icones architecturales : les Grand bleu (1958-1960) ; la Barre Saint-Just (1962-1969) ; la Caravelle (1965-1968) ; les tours Horizons (1968-1970) ; le Trimaran (1974-1978)…

Des passions : les voitures, la gastronomie, la pipe

LES TOURS HORIZONS : LA BONNE ALTITUDE

Respectivement hautes de 99,5 m et 96 m, les tours jumelles des Horizons (1968-1970) figurent l’œuvre la plus iconique de Georges Maillols. Pourtant, ces dernières ne seraient selon l’architecte, que les conséquences nécessaires de facteurs extérieurs.

Aux pieds des Horizons
Les Horizons figurent l'œuvre la plus iconique de Georges Maillols (Didier Gouray)

Elles éclairent la nuit rennaise depuis exactement cinquante ans et l’on peut dire qu’avec le jardin public du Thabor, les Horizons fixent l’identité de la ville. Un signe qui ne trompe pas : les chasseurs d’images ne cessent de photographier sous toutes les coutures ces jumelles à la silhouette élancée, et toujours aussi pimpantes malgré leur demi-siècle d’existence ; les rennais en quête de sérénité viennent quant à eux faire du yoga à ses pieds de géants… Les tours Horizons rassurent, c’est comme si elles avaient toujours été là.

Premier immeuble de grande hauteur en France, les « épis de maïs » révèlent surtout la hauteur de vue de Georges Maillols : « Nous devions inscrire le projet dans la nouvelle rue de Brest, explique-t-il. Créer une esplanade en pied d’immeuble et des commerces, tout en conservant un petit bois… Vu le site, il n’y avait pas trente-six solutions, il fallait monter. »

Les Horizons grimperont sous les nuages, jusqu’à 30 étages, seuil maximal imposé par la loi.

Les Horizons en construction
Le recours massif au préfabriqué et à l’industrialisation des matériaux a permis de voir s’élever un nouvel étage tous les six jours (DR)

Un mix de Milan et de Chicago

Le programme est simplifié à mesure que le projet avance. Mixte au départ, avec des hypothèses de bureaux, d’hôtel et de restaurant panoramique, il ne retient en définitive que 480 appartements de deux pièces. Ce village vertical dans la ville bénéficiera en outre de 440 places de stationnement, un détail de taille au siècle de l’automobile.

Si les tours Horizons s’inspirent de Milan pour sa double vue sur la cathédrale et la tour Velasca, leur modèle se trouve à Chicago et s’incarne dans les deux gratte-ciel de Marina City, hauts de 179 mètres chacun. Dans cette pépite architecturale signée Bertrand Goldberg, Georges Maillols admire l’expression sculpturale et sensuelle du béton, les nuées d’alvéoles, sans oublier la métaphore de l’épi de maïs.

Vue d'un bureau d'architecte
Dans le bureau de l'architecte David Cras. Au second plan à droite, les deux gratte-ciel de Marina City, à Chicago (JBG)

Des techniques révolutionnaires

Un panneau de façade unique, répété plus de 700 fois, est conçu en collaboration avec l’incontournable Société rennaise de préfabrication. Un mélange de ciment blanc et de quartz concassé est mis au point. Le galbe des porte-à-faux des balcons proviendrait quant à lui d’une inspiration tout à fait inattendue : le buste de Marianne, sculpté en 1969 sous les traits de Brigitte Bardot !

Et pour les fondations ? L’édifice est posé sur 46 pieux Franki d’1,50 m de diamètre et enfoncés à 10 mètres de profondeur. Franki, du nom de l’oncle belge de Georges Maillols, inventeur dans sa jeunesse d’une nouvelle technique d’enfonçage.

Le recours massif au préfabriqué et à l’industrialisation des matériaux permet de voir s’élever un nouvel étage tous les six jours. Au même moment, une autre fusée nommée Apollo 11 décolle en direction de la lune. En visite dans la ville en janvier 1969, le général de Gaulle s’étonne quant à lui de constater que « Rennes est devenue, en une génération, une métropole, une grande ville industrielle, une grande ville universitaire, une grande ville technique. »

Dessin des Horizons
Le parcours créatif de Maillols à Rennes résume trois défis de l’architecture contemporaine : l’économie, le logement et l’esthétique (DR)

Cinquante ans, l'âge d'Horizons

50 ans, ça se fête ! Des rendez-vous souffleront sur les deux bougies des Horizons jusqu’à la fin de l’année.

Septembre-octobre : Un bureau éphémère aux pieds des Horizons. L’architecte Cécile Mescam et la photographe vidéaste Candice Hazouard animeront à partir de septembre un bureau éphémère sur la dalle, au pied des tours. Un lieu de résidence pour recueillir et exposer documents, archives, objets et témoignages sur les célèbres jumelles. Des ateliers, des ballades dans le quartier, des collectes, ainsi qu'une conférence aux Archives municipales, seront également proposés en parallèle. « Notre approche est très familiale, nous avons conçu puzzles et aux coloriages pédagogiques pour expliquer les notions d'architecture aux plus petits, et nous n’oublions pas les anciens. » Une restitution est prévue en novembre à la Maison de l’architecture.

En novembre : Une Table ronde et une exposition à la Maison de l’Architecture et des espaces en Bretagne (MAeB)

Animée par Cécile Mescam, elle réunira des acteurs de la construction et des habitants pour resituer le projet dans son contexte actuel et passé.

En 2021 : Un livre

Cette édition comprendra des photographies et des documents issus de la collecte.

Un hashtag : H2020, un compte Instagram a été créé pour le cinquantenaire. L’occasion d’envisager les plus hautes sœurs jumelles de Rennes… sous toutes les coutures.

Pour end avoir plus sur l'architecte Cécile Mescam : www.onziemeetage.fr

Pour découvrir le projet : www.horizons2020.info / Instagram : @horizons_2020

Révisons nos Horizons !

Vous les apercevez chaque jour mais les connaissez-vous si bien ? D'anecdotes rigolotes en précisions bien utiles, petit tour d'horizon du bâtiment iconique de Georges Maillols (cliquez sur les pastilles !) 

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BOURG-L'ÉVESQUE, DE L'OMBRE À LA LUMIÈRE

Au lendemain de la guerre, le corps urbain rennais est doublement meurtri. Les destructions occasionnées par les bombardements viennent s’ajouter à l’insalubrité chronique des ilots, au sud de la ville. La reconstruction de la ville est une urgente nécessité. À l’image du nouveau quartier modèle de Bourg-L’Évesque, celle-ci sera moderne.

Si Rennes n’est pas Lorient, la capitale de Bretagne et ses 113 000 habitants n’ont pas échappé aux destructions de la guerre : 1500 immeubles ont été rasés, 15 000 autres ont été touchés. Au total, 1/3 du parc de logements est atteint. Pour la ville, déjà préoccupée par les problèmes d’insalubrité au sud de la Vilaine, c’est un double handicap à lever.

Reloger 25 000 Rennais

La reconstruction sera envisagée sous l’angle de l’embellissement et de la rationalisation, mais l’urgence commande d’abord de reloger les 25 000 rennais à la rue. Une cité d’urgence est construite dans le quartier Cleunay. Avec 12 maisons jumelées, la contribution de Georges Maillols sera modeste. L’état édite un catalogue de plans types, les opérations de logements sociaux vont se succéder dans le quartier jusqu’en 1958-1960 et la construction du Grand bleu. Une grande barre de 144 logements HLM, et une première rupture d’échelle pour l’architecte des Horizons.

Vue du quartier Bourg-L'Évesque à l'horizon
Vue du quartier Bourg-L'Évesque à l'horizon (JBG)

Pendant que la cité d’urgence de Cleunay accueille les nécessiteux de la rue de Brest, le recensement de 1954 révèle l’état de sous-développement de la ville : 33 % des appartements n’ont pas d’eau courante, 42 % sont sans WC intérieurs, 35 % ne sont pas reliés au tout-à-l’égout… Élu en 1953, Henri Fréville voit Rennes « comme un grand marché rural, animé par plus de cent fermes. » Dont acte, il fera de la capitale de Bretagne une « cité modèle ».

Des taudis...

Historien de métier, Henri Fréville ne manque pas de rappeler que « dès 1840, on s’accordait à souhaiter l’assainissement du Faubourg-L’Évesque, comme d’ailleurs celui de l’ancien Champ-Dolent, de la rue de la Parcheminerie et aussi de la rue Haute (actuelle rue de Saint-Malo, ndlr).»

« Chancre abominable », le bidonville de la rue de Brest doit en effet faire face à de nombreux fléaux : le secteur est régulièrement inondé par les débordements des méandres de la Vilaine, et fréquemment pollué par les rejets toxiques de l’entreprise textile voisine. Le raccordement à l’eau courante, au gaz ou à l’électricité y est un luxe, et que dire des rats affamés qui mordent les enfants ?

La déclaration d’insalubrité est prononcée le 30 septembre 1957. Si le quartier est construit sur une voix romaine, Rennes veut faire table rase du passé, et servir la modernité architecturale sur un plateau à ses habitants.

...au standing

Georges Maillols dirige l’enquête sociale, centralise les documents, étudie les titres de propriété… Un premier périmètre est délimité à 0,38 ha, puis 0,48 ha en 1956. Mais Henri Fréville est large d’esprit, et voit encore plus loin : l’emprise est portée à 6,87 ha l’année suivante, soient 1000 logements à construire. Au final, Bourg-L’Évesque s’étendra sur 20 ha et comprendra 2519 logements.

Homme du XXème siècle, Georges Maillols règle en quelques mots la question du passé et de la ville médiévale : « Il faut construire l’écriture de l’époque avec les techniques de l’époque. » Ce sera la préfabrication lourde, à très grande échelle. Fasciné par les Etats-Unis et l’Italie, l’architecte a ramené de ses voyages un goût prononcé pour la perfection technique des édifices et pour les contrastes.

« Il faut mieux trancher et marquer l’époque, comme en Italie. Les architectes n’hésitent pas à faire un immeuble de verre près d’un bâtiment de la Renaissance. » Porté par le slogan « Soleil, espace, verdure », le quartier sera un lieu de « détente du centre de la ville », à l’inverse « du centre rebâti du XVIIIème siècle, étroit et engorgé. »

Des lignes épurées, tendues, incurvées… Le brio de Georges Maillols éclate au grand jour, dans un ensemble contrasté et lisible immédiatement. Les variations de hauteur, de géométrie et d’orientation créent des séquences urbaines de grande échelle
Des lignes épurées, tendues, incurvées… Le brio de Georges Maillols éclate au grand jour, dans un ensemble contrasté et lisible immédiatement. Les variations de hauteur, de géométrie et d’orientation créent des séquences urbaines de grande échelle (JBG)

Maillols, un architecte très spatial

Des lignes épurées, tendues ici, incurvées là… Le brio de Georges Maillols va bientôt éclater au grand jour, dans un ensemble toujours contrasté et lisible immédiatement. Les variations de hauteur, de géométrie et d’orientation vont créer des séquences urbaines de grande échelle. Le magasin Suma propose à ses premiers clients un vol en hélicoptère pour voir leur nouveau quartier sortir de terre. Cantonné au suivi des travaux, l’amateur de grosses cylindrées ronge son frein, et la construction du premier immeuble du secteur est confiée aux architectes Carré, Legrand et Rabinel. Mais nous connaissons la suite, et l’architecte ne tardera pas à faire la course en tête.

Une gamme chromatique intégrant le blanc, le gris et le bleu ; des mosaïques monumentales ; des noms évoquant la mer et la Bretagne… Bourg L’Évesque se pare de ses plus beaux atours. Maillols, quant à lui, rêve d’une tour de 60 étages, tandis que son immeuble Le Trimaran innove en mixant habitat social et promotion privée.

« Toutes les semaines, je me rendais à Paris au Centre scientifique et technique du bâtiment, pour définir les normes (de hauteur, ndlr). Il n’existait aucune législation pour ce type de construction. Nous l’avons faite ensemble. » Ce qui s’appelle avoir de la hauteur de vue.

LA BARRE SAINT-JUST : UN IMMEUBLE PAS QUE BEAU

Avec ses allures de navire de croisière, la barre Saint-Just a fait une entrée très remarquée à Rennes, en cette année 1969, au terme d’un chantier de 7 ans. Retour sur une aventure au long cours, au cœur de l’histoire et de l’architecture.

La barre Saint-Just, construite en 1969
La barre Saint-Just, construite en 1969 (JBG)

Pour Saint-Just, le 1er martyr de Bretagne décapité en l’an 180 à cet endroit, ce fut un « clac » de fin. Pour l’immeuble éponyme et l’architecture rennaise, ce fut le « clap » de début d’une nouvelle ère architecturale.

Souvent cité après les Horizons dans le palmarès des icones rennaises, la Barre Saint-Just fit sans doute plus de bruit à l’époque. En cause : sa localisation dans un quartier historique de Rennes, vivant dans la quiétude de ses hôtels particuliers.

Le dessin du bâtiment lui-même ne laisse pas de marbre : avec sa silhouette pyramidale et ses ailerons profilés, le vaisseau se repère en effet de loin.

Les mages de l'an 2000

Libre adaptation des principes de l’immeuble à gradins, la barre Saint-Just crée nombre d’effets d’optiques, qui s’impriment dans le décor et dans le regard : ces vastes espaces extérieurs hissés au-dessus des toits, et qui créent l’illusion d’un jardin de plain-pied ; ces pliures à l’oblique qui donnent l’impression que le bâtiment est tenu en suspens ; le jeu de contrastes entre la pâte de verre blanche et le bardage en bois lasuré…

Mais le bateau n’est pas que beau. Outre le luxe des lieux (bassins, compositions de galets et de marbres, cadre de verdure en plein centre ville…), les appartements bénéficient de tout le confort moderne, voir même de celui qui n’existe pas encore : des chambres pouvant dépasser 20 m2, un équipement électrique haut de gamme (interphone, broyeur, armoire sèche-linge dans les cuisine, chaufferie innovante…).  

Les canards se déchaînent sur la construction de ce vaisseau préfigurant le XXIème siècle. Les journalistes y voient l’œuvre prophétique des « mages de l’an 2000 », l’apparition de « la ville de demain, en miniature », le chef-d’œuvre d’une ère nouvelle comme le furent les pyramides en leur temps.   

Ci-dessous, une sélection des réalisations de Maillols

LA FABULEUSE AVENTURE DU PRÉFA

Rendue urgente par les destructions de la guerre et la vétusté des maisons en bois héritées du moyen-âge, la reconstruction de Rennes n’aurait sans doute pas été possible sans la Rennaise de préfabrication, qui appliqua à Rennes ses idées en béton tectonique.

Panneau préfabriqué
Un panneau de 4 tonnes répété 720 fois, et donnant aux Horizons les apparences d’un mur de pixels. C’est le tour de force de la Rennaise de préfabrication, incontournable cheville ouvrière sur le chantier des célèbres tours jumelles (DR)

Un panneau de 4 tonnes répété 720 fois, et donnant aux Horizons les apparences d’un mur de pixels. C’est le tour de force de la Rennaise de préfabrication, incontournable cheville ouvrière du chantier des célèbres tours jumelles.

Simple en façade, l’idée relève pourtant du génie et dessinera le panorama architectural du Rennes d’après-guerre. Sans le préfabriqué, la reconstruction et la métamorphose de la ville, de Maurepas à Villejean, n’aurait sans doute pas été possible.

Employé de l’entreprise, Yves Laouénan se souvient que Rennes devint capitale et vitrine du béton tectonique : « Nous étions les 1ers en France dans ce domaine. Nous avons fini à 800 employés. » De Brest à Auxerre, la petite entreprise couvre 80 chantiers par an en moyenne. À Rennes, Louis Arretche est le premier à tomber volontiers dans le panneau, bientôt suivi par Georges Maillols.

Simple en façade… 720 pièces de 4 tonnes chacune, donnant aux Horizons les allures d’une composition rythmique. « Il fallait rentrer dans son rêve jusqu’au bout. Il posait des problèmes complexes à résoudre. » Comme cette délicate question de l’étanchéité entre les panneaux : « le béton était insuffisant, il fallait utiliser des joints mécaniques ou autres. Nous avons choisi des joints en inox. Dans les moules, nous incorporions des gouttières grosses comme mon pouce. » Le résultat est miraculeux : «  pas une seule goutte d’eau ne peut passer sur les trente-deux niveaux que comptent les deux tours. »

Là réside le secret de la blancheur de l’icône architectural, non pas dans l’immaculée conception, mais au moins la préfabrication.          

Dans la même perspective, Le Trimaran et Les Horizons
À l'horizon, les Horizons (JBG)

Dossier réalisé par Jean-Baptiste Gandon