Écomusée de la Bintinais : le cuir en instant tanné
Si le cuir est une matière noble et luxueuse, les tanneries qui le fabriquaient aux XVIIIe et XIXe siècles portèrent longtemps la marque de la souillure et de l’infamie. Avec « Cuir, une matière à fleur de peau », l’écomusée de la Bintinais invite à découvrir cette industrie laborieuse ancrée dans le terroir Rennais. N’oubliez pas d’enfiler votre blouson noir !
Si le cuir est omniprésent dans notre quotidien, allant jusqu’à nourrir nos rêves érotiques ou nos âmes de rockers, la mémoire s’est empressée d’effacer le passé de cette industrie réputée sale et laborieuse. À Rennes, l’ancien séchoir à peaux de la famille Pinault est le dernier témoin de cette activité, pourtant si importante aux XVIIIe et XIXe siècles.
Habillé de briques rouges et de pans de bois, le vestige situé à l’entrée des prairies Saint-Martin a perdu le moulin à tan voisin. Il nous rappelle pourtant que la noble matière participa grandement au développement économique de la capitale de Bretagne.
Le plastique de l’époque
Commissaire de l’exposition présentée à l’écomusée de la Bintinais, Marie Pichard plante le décor : « À Rennes comme dans toutes les villes moyennes, le travail de la peau est une activité importante jusqu’au début des années 1920. » Avec ses multiples usages, le cuir « est le plastique de l’époque ». Omniprésent et indispensable, il sert à habiller les gens mais aussi à équiper les chevaux, sans oublier les accessoires en tout genre.
Dans la capitale de Bretagne, l’activité a longtemps rythmé le quotidien de cinq quartiers : Saint-Hélier, Bourg-L’Évesque, Saint-Martin, Saint-Cyr… Mais c’est rue de la Parcheminerie que tout a commencé. « Nous nous trouvons alors à l’intérieur des remparts, à deux pas de la Vilaine pas encore canalisée. L’eau de la rivière est utilisée pour nettoyer, racler le cuir… » La politique hygiéniste de la ville va par la suite pousser les tanneries à l’extérieur des remparts.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les progrès technologiques vont conduire à la mécanisation de la profession. La chimie fait son apparition et accélère le processus de tannage. Réputée très sale, l’industrie du cuir devient encore plus polluante.
Le profil sociologique des tanneurs va lui aussi évoluer. « Le XIXe siècle marque l’apparition des grandes familles rennaises comme Le Bastard, Pinault ou Brisou, qui commencent à investir des capitaux dans cette activité. » Pour le premier cité, le travail de la peau servira de tremplin, vers la politique et la fonction de maire. Tout simplement.
« Le cuir, c’est le plastique de l’époque »
« Le travail du cuir a longtemps été une activité laborieuse et épuisante. À commencer par le processus de fabrication : il fallait un an et demi pour tanner une peau et obtenir un cuir. » Un parcours parfaitement illustré par l’exposition. « Les peaux arrivaient des abattoirs. Les marchands de cuir vert les achetaient au poids, et il n’était pas rare que les bouchers oublient les cornes, les mamelles, et tout ce qui pouvait alourdir la note. »
Les peaux crottées étaient ensuite lavées dans la rivière. S’en suivait des bains successifs de chaux. On installait ensuite le futur cuir sur un chevalet pour assurer l’ébourrage*.
« Les poils récupérés servaient à faire du feutre ; une fois revendues, la graisse et la chair se transformaient en colle ou en gélatine ; les cornes devenaient quant à elles des outils. » Une manière de dire que les artisans du cuir étaient dans le recyclage bien avant que le mot n’existe.
Un travail de dur à cuire
Après le travail de rivière et les bains successifs, les peaux étaient placées dans des cuves creusées dans le sol. « Il faut imaginer un mille-feuille de peaux et d’écorces de chêne riches en substances tanniques », continue Marie Pichard. Le cuir est alors semi-fini, il le sera complètement après les multiples opérations de corroyage** ou de finition.
« Quand on parle du cuir, on pense forcément à son odeur. En réalité, cette dernière provient de l’huile de foie de morue utilisée pour le nourrir et l’assouplir. Le fait est que le cuir en cours de tannage pue énormément ! » Quoiqu’il en soit, les investisseurs qui osèrent parier sur cette matière ont eu le nez fin : avec l’apparition du chemin de fer, Rennes est progressivement devenue une plaque tournante du commerce du cuir, comme en témoignent à l’époque le nombre de foires et de marchés locaux.
Et Marie Pichard d’ajouter : « La Bretagne est une très vieille région productrice de cuir. Outre le fait qu’elle soit une terre d’élevage fournissant viande, beurre et peaux, elle fut également un grand fournisseur de sel, très utilisé par les tanneries pour la conservation des peaux. » Un métier de dur à cuire, alors ? La profession a, c’est un fait, longtemps été synonyme de basse-œuvre. « Les ouvriers du cuir furent un peu les intouchables indiens d’aujourd’hui. » En toile de fond, la mort et le sang.
Enfin, si elle est aujourd’hui largement féminisée, la profession fut longtemps une affaire d’hommes : « Mouillée, une peau pouvait peser jusqu’à 50 kilos. Celle-ci était par ailleurs déplacée des dizaines de fois. » Une vraie tannée, conclurons-nous.
Jean-Baptiste Gandon
* opération consistant à ôter la bourre des animaux avant le tannage
** ensemble d’opérations de finition
Un parcours en cinq étapes
Des accessoires de navigation aux manteaux de fourrure, l’exposition débute par un large panorama d’objets du quotidien, avant de nous livrer les secrets de fabrication du cuir. Après une parenthèse sur l’histoire rennaise, elle invite le visiteur à découvrir les métiers du cuir à travers l’interview de trois artisanes : maroquinière, bottière et relieuse, chacune expose un chef-d’œuvre pour l’occasion. La fin de la visite nous rappelle qu’à l’origine du cuir, il y a un animal. Enfin des diptyques ne manquant pas d’humour nous invitent à nous interroger sur la charge symbolique de cette matière et à aborder des sujets tels que le veganisme, le perfecto comme symbole de rébellion, et la haute-couture.
« Cuir, une matière à fleur de peau », jusqu’au 1er septembre 2024, à l'écomusée de la Bintinais