Dans les coulisses des Archives
Depuis 50 ans, le bâtiment des Archives municipales collecte, conserve, communique et valorise les documents qui font la mémoire de la ville. Comment ? Pourquoi ? Et avant, c’était comment ? Découvrez la vie secrète des Archives...
Construit en 1968 (et inauguré l'année suivante), le bâtiment des Archives municipales contient toute l'histoire de la Ville de Rennes, de l’Ancien Régime à nos jours. Ici, on trouve les registres des naissances, des comptes, des plans d'architectes, des photos... autant de documents produits par la collectivité (Ville, Métropole et CCAS). Car c'est là la principale mission des Archives : collecter et conserver toutes les productions des services, des finances à l'urbanisme, en passant par l'état civil.
-
10 km de documents stockés
-
1 km de documents en attente de classement
-
204 000 articles archivés (un article = une boîte)
Conserver des factures et de vieux dossiers, étrange non ? « Souvent, en pensant archives, on pense histoire, éclaire Violaine Le Nénaon, adjointe à la directrice des Archives. Mais il y a avant tout un aspect très administratif, car tous ces documents sont des preuves ! Il faut pouvoir les présenter en cas de contrôle, d'enquête, de procès... » Et les retrouver en cas de besoin, pour la gestion des affaires courantes. Pour certains, la valeur disparaît au bout d'un certain temps, et ils peuvent alors être détruits. Pour les autres, c'est un ticket d'entrée définitive dans le fonds des Archives. Vraiment utile ? « Avec des plans de voirie, on raconte l’histoire d’un quartier. Avec des registres d'état civil, on retrace des lignées généalogiques, etc. »
Ces archives définitives rejoignent les magasins de conservation des Archives, qui s'élèvent sur les 5 niveaux du bâtiment-pont de l'avenue Jules-Ferry. 3 étages d’archives contemporaines (> 1953). 1 étage d’archives anciennes (< 1953). 1 étage d’archives privées. Pour un total de 10 km linéaires de documents stockés !
Que d'aventures
Si le bâtiment des Archives municipales fête ses 50 ans cette année, le service est bien plus ancien : des inventaires furent réalisés dès le XVIe siècle. Aucun bâtiment dédié à l'époque : les archives étaient mobiles, conservées dans des bancs-coffres. Une mobilité qui entraîna de lourdes pertes au fil des décennies. Une salle leur fut par la suite attribuée dans l'hôtel de ville (anciennement rue de la Monnaie), d'où elles déménagèrent, avant la Révolution, pour le nouvel hôtel de ville. Archives modernes et anciennes furent séparées et déplacées de nombreuses fois entre 1908 et 1947. Il faudra attendre 1968 pour les voir à nouveau réunies, avec la construction d'un bâtiment dédié. Une initiative du maire Henri Fréville.
Du public... et du privé
Si la collecte d’archives publiques relève d’une obligation légale, il en est une autre qui ne l’est pas : celle des archives privées. Autrement dit, les documents en tout genre émanant de particuliers, d’entreprises, d’associations ou encore de syndicats. Les architectes Georges Maillols, ou encore Jean-Gérard Carré, ont ainsi versé leur fonds d’atelier aux Archives de Rennes. Des dons précieux, qui représentent environ 30% des fonds. « Elles viennent en complément des archives publiques, qui sont très administratives, explique Marie Penlaë, chargée de leur récolte. Elles sont plus vivantes, elles apportent des parcours de vie, des traces d’activité que l’on n'aurait pas sinon. Du service juridique, on va avoir des contentieux au sujet d’un squat par exemple. Mais d'un photographe, on pourra avoir des photos de moments de vie dans ce squat. Ce qui fait l’intérêt, c’est la complétude. »
Les gens ne sont pas forcément conscients de l’importance des documents qu’ils versent.
Chacun peut ainsi verser ce qu’il souhaite aux Archives... jusqu’à son journal intime ! Son intérêt sera bien entendu jaugé, avant toute entrée. « Ce qui peut sembler aussi anecdotique qu’une photo de famille peut permettre de faire des ponts avec l’histoire de ce commerce à Rennes, si on connaît le photographe. » En complément, les Archives achètent ponctuellement des documents en ventes aux enchères. Correspondances, factures à en-tête, affiches...
Des pépites
Certains dons permettent de faire quelques découvertes historiques. Comme cet homme, qui a un jour apporté un lot de photographies datant de la Seconde Guerre mondiale à Rennes. Magasins pillés, parades d’Allemands place de la République, scènes de la Libération... Des témoignages rares, qui ont notamment permis d’apprendre qu’il y avait eu bien plus de femmes tondues, à Rennes, que ce que l’histoire racontait.
Le parcours d’un document
Les missions exercées par les archivistes peuvent se résumer en 4C : collecte, classement, conservation et communication. Suivez le cheminement d'un document, de son service source jusque dans les mains du public !
La collecte
La collecte est le premier maillon de la chaîne. 3 personnes y travaillent et conseillent les services quant au tri de ces documents qui permettront d'avoir « tous les recours possibles en cas de litige ». Sans parler de la valeur patrimoniale. « Si un service a un dossier plus complet qu’un autre, on ne va pas conserver les deux, on évite les doublons », explique Sophie Delforge, chargée de collecte. Idem pour les documents en 15 versions différentes, où seuls quelques mots changent. « Il n’y a aucun intérêt à tout garder. Savoir détruire, c’est même la règle de base de tout archiviste, sinon l’information est noyée. » Les versements s’effectuent tout au long de l’année, et les volumes sont variés. Les plus gros ? « Tout ce qui touche à l’aménagement du territoire. »
-
+ 500 mètres de documents conservés chaque année
-
275 mètres de documents détruits chaque année
-
162 versements des services en 2018
Le classement
À chaque fois qu’un service verse des archives, celles-ci sont inventoriées et décrites dans un logiciel (avec une description et divers mots clefs). Une fiche d’identité en quelque sorte, qui permettra de les retrouver facilement. « Nous mettons en ordre ce que l’on nous verse. On reconstitue la forme, on classe, on trie dans un ordre logique », expliquent Xavier Huet et Paul Ferrand, chargés de traitement. Chaque versement est ensuite conditionné, identifié par un numéro et stocké dans les 5 magasins que compte le bâtiment. Tous les 5 ans, ces derniers sont passés en revue pour vérifier que chaque article est bien à sa place. Dans toute cette masse, qu'on se le dise, un document mal classé est un document perdu.
Et la place dans tout ça ?
Le papier, les dossiers, les affiches... tout cela prend de la place ! Lorsqu’un bâtiment d’archives est construit, il doit être conçu en tenant en compte l’évolution du stockage sur 20 ans. Une fois qu’il est rempli, pas de solution miracle : il faut s’étendre, ou déménager. Les bâtiments des Archives ont donc, en quelque sorte, une date de péremption, liée à leur capacité de remplissage.
La conservation
Tout est pensé pour la conservation des documents aux Archives municipales : conditionnements au ph neutre, feuilles de protection en polyester permanent (qui n’enlève pas de matière au contact d’un document), contrôle de l’hygrométrie et de la température, surveillance de l'état des bâtiments, prévention des incendies... « C’est de la conservation préventive, des méthodes douces dont le but est d’éviter le passage à la case restauration, explique Olivier Fiot, qui s'occupe de la conservation et de la sécurité. Il faut prévenir, avant d’avoir à guérir. » Guérir est cependant indispensable quand un document est trop détérioré.
Que restaurer ?
De nombreux documents sont en attente de restauration. Par quoi commencer ? Les plus précieux ? Les plus dégradés ? Ni l'un ni l'autre, en fait. Les documents prioritairement restaurés sont ceux dont la dégradation n'est pas stable. Un document de moindre importance qui continue à se dégrader sera donc restauré avant un document précieux, dont la dégradation n'empire pas. Ce dernier ne bougera pas : il peut donc attendre.
La communication
Les archives ne sont pas une chasse gardée : c'est un patrimoine commun auquel tout le monde peut accéder. Chaque jour, un large public de chercheurs... amateurs ou professionnels, investit ainsi la salle de lecture des Archives. The place to be pour tous les historiens dans l’âme. Son accès est gratuit et ouvert à tous. Pour que l'information soit retrouvée au plus vite, des outils sont mis à disposition dans la salle de lecture : des inventaires papiers ou électroniques, permettant de réaliser des recherches, ainsi qu'une bibliothèque composée d'ouvrages historiques. Mais un peu d’aide est parfois la bienvenue pour se lancer ! Cécile Michel et Christelle Gaultier sont là pour ça. « Quand les gens savent ce qu’ils veulent c’est très bien, mais sinon on discute avec eux pour préciser au maximum leur recherche. Si leur demande est trop large, ils n'auront pas de résultat... »
Hit parade
Certains documents sont plus consultés que d’autres. Sur internet, les recherches généalogiques caracolent en tête : il faut dire que le fonds est entièrement numérisé. Et dans le bâtiment, les recherches touchant à l’urbanisme (permis de construire, plans de maisons...) font carton plein !
Le public, lui, n’est pas composé que de Rennais. Surtout pendant les vacances ! « On a des gens des Etats-Unis, d’Afrique, du Québec... Des personnes qui profitent de leurs congés pour venir faire quelques recherches sur leurs ancêtres. » Et pour ceux qui ne pourraient pas faire tout de suite le déplacement, il est aussi possible de faire une recherche par correspondance. Mais attention, tous les documents ne sont pas consultables ! Certains sont frappés de délais de communicabilité.
Insolite
Des demandes atypiques, il y en a, aux Archives ! Comme cette personne, venue chercher de la documentation sur le poids des chaînes du pont-levis des portes Mordelaises ou cette autre, qui souhaitait répertorier tous les magasins vendant des jouets, à Rennes, dans les années 1960 et 1970. Un travail de fourmi que ce passionné souhaitait faire à l'échelle de toute la France !
La valorisation
Au fil du temps, un 5C est venu s'ajouter aux 4 existants (collecte, classement, conservation, communication). Différence notable, il ne commence par par un C : il s'agit de la valorisation des fonds. Un travail supplémentaire qui passe par la création d'expositions (tous les deux ans), des conférences, des projections, des visites du bâtiment, des ateliers...
Les enfants à l'honneur
La valorisation des Archives passe aussi par la sensibilisation des scolaires à leur patrimoine. Depuis 20 ans, des groupes du CP au lycée sont reçus dans le bâtiment. « C'est une autre approche du programme scolaire, beaucoup plus locale, là où en cours on parle surtout de l'histoire à l'échelle de la France », explique Christelle Lemarchand, responsable du service. Du côté des enfants, les yeux sont souvent écarquillés. Le moment fort, c'est bien sûr la visite du bâtiment... doublée de quelques questions piège. « Comment pourrait faire quelqu'un de très méchant s'il voulait détruire les Archives ? », interroge Adrien, médiateur. « Il les mangerait ? », hésite Amjad. Bon courage. Par contre, le feu est un vrai risque. Tout comme l'humidité, les moisissures, les rongeurs... Après la visite, direction l'étude de documents autour de la Grande Guerre : le sujet est justement au programme. Séverine, l'institutrice, a déjà amené cinq classes ici : « C'est très complémentaire des cours ».
Les Archives nouent parfois des partenariats avec des établissements scolaires. 14 ateliers sont ainsi prévus, en 2019, avec l'école Moulin-du-Comte, pour que les enfants (du CP au CM2) puissent comprendre l'évolution de leur quartier. Une balade historique est même au programme !
Les adultes aussi !
Les enfants ne sont pas les seuls à pouvoir bénéficier d'actions de médiation : les adultes aussi ! Cela passe, comme pour les enfants, par l'organisation de visites de groupe, généralement demandées par des structures associatives. « C'est une approche qui n'est pas si différente de celle avec les enfants. On va creuser un peu plus sur des détails, mais la démarche est similaire », explique Adrien, médiateur. Des visites, donc, mais aussi de l'accompagnement de projets. « Nous sommes un service ressource, notre rôle est d'accompagner des partenaires institutionnels ou associatifs dans la création de leurs projets. Comme des groupes mémoire dans les quartiers par exemple. On va apporter une aide méthodologique et technique, donner des clefs. »
Les archives de demain
Avec plus de 8 000 documents numérisés, les Archives de Rennes ont d’ores et déjà entamé leur passage dans l’ère du numérique. Des numérisations réalisées pour des raisons de conservation (afin d’en limiter la consultation), comme de praticité : le public peut ainsi effectuer ses recherches depuis un ordinateur.
La numérisation n'est cependant pas l'enjeu majeur de la structure. Avec la dématérialisation de plus en plus d'échanges et de dossiers, l'archivage électronique devient obligatoire. « On ne parle pas de photocopies numérisées, on parle de mails, de photos, de contrats, d'actes... c’est aussi vaste que l’archivage papier », explique Sophie Delforge, qui s'occupe du dossier. Des données actuellement stockées sur des serveurs sécurisés et des disques durs... mais qui seront conservées, dès 2020, dans un système d'archivage électronique. Comme un magasin... mais en virtuel, donc ! Autant de possibilités nouvelles dont le public pourra, comme toujours, profiter.
Texte : J.D
Photo : Didier Gouray (sauf mention contraire)
Envie d’en apprendre (encore) plus sur les Archives ? Visites du bâtiment, conférences, projections, expositions : chaque trimestre, des actions culturelles "Les Jeudis des Archives" sont proposées. Une mine d'or !
Consultez le site des Archives de Rennes.