La cité-jardin du Rheu, c’est l’histoire d’un urbaniste en avance sur son temps, et un brin utopiste. Gaston Bardet qui, à la fin des années 1950, a su redonner une place à la nature, sans oublier celle des femmes et des enfants. Prêts pour une petite balade des gens au Rheu ?
Le petit bourg du Rheu a bien grandi depuis la construction des trois lotissements de sa cité-jardin, voilà plus de soixante ans. De nouveaux quartiers, comme les Huberdières, y ont vu le jour. Tous s’inspirent de ce modèle imaginé par l’urbaniste Gaston Bardet pour la commune, au milieu du XXe siècle.
Vous avez dit cité-jardin ? Théorisé par l’urbaniste britannique Ebenezer Howard à la fin du XIXe siècle, ce concept se veut une réaction au développement incontrôlé des agglomérations industrielles de l’époque, et propose une réelle alternative à la construction des cité-ouvrières de type coron. En France, les villes de Suresnes, Drancy et Reims oseront cette utopie urbaine dans les années 1920, suivies par Le Rheu quelques années plus tard.
Une utopie urbaine
Entre 1959 et 1967, Gaston Bardet va en effet adapter ces principes au petit bourg rural : des voies automobiles rayonnantes et circulaires autour du centre, avec des cheminements piétonniers sillonnant les îlots bâtis ; des maisons conçues par Gaston Bardet lui-même, et construites avec des matériaux locaux, à savoir du schiste pourpre du bassin rennais ; des pavillons plus cossus pour penser la mixité sociale, sans oublier les équipements collectifs et les espaces publics.
Gaston Bardet va jusqu’à dessiner les plaques de rue, et fixer une palette de couleurs pour les volets des maisons. La place faite au végétal est un axe fondamental du projet, de la conservation des haies bocagères à la très large place faite aux espaces verts. Acacias, tilleuls, boulots… Les rues portent d’ailleurs les noms des arbres qui y sont plantés.
Pour Gaston Bardet, le « nouvel urbanisme » doit enfin accorder la primauté à la femme et à l’enfant, féminiser le cadre urbain pour y réintégrer la nature, et satisfaire aux besoins de l’enfant.
Jean Châtel, un jeune maire audacieux
Comment un concept pensé pour les ogres urbains a-t-il pu prendre racine dans un petit bourg rural ? Le contexte rennais de la première moitié du XXe siècle est celui d’un déficit de logements, accentué à la Libération. De grands chantiers d’urbanisme sont alors lancés et les tours des grands ensembles ne vont pas tarder à sortir de terre.
En lisière de la ville, la commune du Rheu suit d’abord le mouvement, avant un revirement radical opéré par Jean Châtel, élu maire en 1953 à l’âge de 31 ans. À sa prise de fonction, ce dernier doit faire avec une population vieillissante, un bourg sans caractère, et des équipements publics inexistants. Pire, les chemins ne sont même pas goudronnés !
L’édile rheusois a heureusement entendu parler de l’architecte Gaston Bardet, auteur du livre « Le nouvel urbanisme », et de son concept de « villette », conjuguant les avantages des services offerts par la ville à la quiétude de la campagne. La rencontre entre les deux hommes va métamorphoser la commune.
Quand Jean Châtel a tenté sa chance en le contactant, se doutait-il un instant que Gaston Bardet accèderait à sa demande ? Mieux, ce dernier viendra s’installer au Rheu, où il restera plus de dix ans ! Entre 1959 et 1967, trois lotissements vont sortir de terre, inspirés d’expériences menées au nord de Londres et dans le New Jersey. Les photographies de l’époque donnent à voir de belles maisons, des petites places arborées où l’on imagine sans peine les enfants jouer. Et Les adultes, goûtant la quiétude des lieux, en revenant peut-être, de leur journée de travail à la grande usine Citroën, qui a ouvert ses portes non loin de là en 1957.
Qu’en pensent les habitants de l’époque ? Interrogée en 1966 par une caméra de l’ORTF, une commerçante installée au Rheu depuis 4 ans déclare : « Je m’y plais parce que c’est la campagne et la douceur de vivre. » Et aujourd’hui ? La commune a passé la barre des 7000 habitants et la pression foncière impose sa loi. Composé exclusivement de maisons individuelles, le modèle de la cité-jardin ne répond plus aux exigences de densité actuelles. Il n’empêche, les projets inspirés de ce plan local d’humanisme imaginé par Gaston Bardet continuent de fleurir aux quatre coins de Rennes Métropole.
Une utopie à l'épreuve du temps
Soixante ans plus loin, les fleurs et les rêves urbanistiques de la cité-jardin du Rheu ont-ils fané ? Bien au contraire, nous dit Florence Mace, installée place des Tilleuls en 2019.
« Je me sens très bien ici. Il y a bien une rue adjacente avec beaucoup de trafic automobile, mais la haie de tilleuls joue très bien son rôle de rempart. Ce quartier reste très différent de ce qui se fait aujourd’hui, la distance entre chaque vis-à-vis est très bien respectée. Je n’ai pas un grand jardin (environ 400 m2) mais c’est bien suffisant. Il communique avec un grand parc très fréquenté par les enfants. Je les vois passer par le chemin communal qui longe ma maison. Tout cela a été très bien pensé. Mon pavillon possède deux chambres et un bureau. Certes, 60 m2 c’est petit mais l’époque actuelle nous dit qu’il faut savoir rester raisonnable. Soixante ans plus tôt, Gaston Bardet avait déjà parfaitement compris les enjeux d’aujourd’hui. »
Sources : « L’héritage de Gaston Bardet » par Gérard Darris (revue Place publique sept-oct 2009) ; « Le Rheu, radieuse cité jardin », podcast d’Erwan Le Gall (Ici Rennes, janvier 2022) ; « Le Rheu, 1953-2003 : l’utopie à l’épreuve », par Rémy Allain (Cahiers Nantais, 2022).
Un texte de Jean-Baptiste Gandon